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ils nous offrirent de la farine, du café, du sucre, des charrettes et des grands chevaux en échange de nos terres. Certains d’entre nous répondirent : « Non. Ils nous ont déjà « menti et sans doute mentent encore. Gardons nos terres. « Mais les blancs reprirent : « Venez demain et vous aurez ce que nous vous promettons, et vous verrez que nous ne mentons pas. » Le lendemain, nous allâmes au rendez-vous. Aussitôt nous nous vîmes entourés de soldats qui disaient : « Il faut céder, de gré ou de force. » Nous comprîmes que nous étions pris au piège, et nous consentîmes à lever notre camp pour aller plus loin. Eh bien ! pendant un mois environ ils nous fournirent des provisions, puis la farine manqua, et le chef blanc nous dit d’attendre. Nous attendîmes. Mais la farine ne vint pas. Alors, quand je vis nos enfants mourant de faim, je me déterminai à les nourrir de ma chasse. Je m’établis près d’un fort plein de soldats, qui parfois nous jetaient des os comme à des chiens, et mon cœur était plein de honte. Je restais tout de même, parce que les blancs me donnaient du whisky pour mes peaux de buffle. Mais il vint un jour où un jeune chef blanc me coupa la face et le dos à coups de fouet, parce que je n’avais pas voulu me laisser fouler aux pieds par son cheval. Alors mon cœur se souleva et je me dis : « C’est fini. Je retournerai vers les « hommes de ma race. Le blanc n’embrasse le Peau-Rouge que pour l’étouffer, et mieux vaut avec lui la guerre que la paix. » Je quittai le fort avec mes enfants, non pas toutefois sans avoir frappé devant son propre teepee le chef qui m’avait battu. Voilà comment il faut agir avec les faces pâles. On doit les tuer comme des loups. J’ai dit. »

Le discours de Tatouka, débité d’une voix sourde et d’un ton contenu, produisit sur les Indiens un effet si profond, qu’un mot partit de toutes les bouches à la fois :

« À mort !… à mort !… »

Mac Diarmid voulut pourtant tenter un dernier appel.

« Les chefs de la nation des Sioux disent que tous les blancs sont des menteurs, reprit-il. Oublient-ils donc celui qui est leur ami depuis tant d’années ? »

Et il montrait Evan Roy qui venait de se rapprocher de l’assemblée.

Mais l’Ours-qui-se-tient-debout revint à la charge.

« C’en est assez, dit-il, nous n’avons pas besoin de savoir ce que nous veut le jeune guerrier à la face pâle. Il est brave, car il faut l’être pour venir ainsi parmi nous, mais il ne peut que nous apporter des mensonges. Le Chef Jaune est un grand guerrier, mais lui aussi est un menteur, et nous ne voulons pas écouler ce qu’il nous envoie dire. Si son messager ne veut pas être assommé comme un loup pris dans une trappe, sous le grand teepee que nous ferons tomber sur lui, qu’il se montre un homme et qu’il se déclare prêt à mourir sur le bûcher, en guerrier qui défie ses ennemis. »

Sur ces mots, l’assentiment du conseil fut si unanime, que Mac Diarmid sentit l’inutilité de tout nouvel effort.

Il se dirigea aussitôt vers le teepee sacré, et, s’arrêtant sur le seuil, serra silencieusement la main d’Armstrong.

« Enfin, que disent-ils ? demanda le jeune homme.

— Ils sont unanimement d’avis que vous devez être mis à mort, répondit gravement le sang mêlé, et vous donnent le choix entre la massue et le bûcher. »

À ce moment, un nouvel orateur venait de se lever du milieu des délégués des tribus.

Son visage cuivré et les plumes blanches de sa coiffure étaient si vivement éclairés par le brasier, que Frank Armstrong distinguait ses traits comme en plein jour.

« Flèche-Rouge ! » murmura-t-il tout surpris.

C’était en effet le Pawnee qui, revêtu d’un costume sioux et confondu parmi les hôtes des Dakotas, allait prendre la parole.