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Le gambusino, voyant qu’il n’y avait pas à espérer de les convaincre, voulut composer :

« Don Estevan, dit-il, si demain, à la même heure, nous n’avons rien aperçu là-bas, — et il étendait le bras vers le sud, — commandez, je suivrai vos ordres, quels qu’ils soient, mais, de grâce, accordez-moi jusqu’à demain.

— Demain, murmura Robert Tresillian, toujours demain ! Mais demain, nos mineurs seront hors d’état de porter leurs armes, de faire un pas peut-être. Savez-vous ce que disaient, il y a deux heures, les deux hommes intrépides qui, au péril de leur vie, ont vengé Anguez et Barral : « Si demain il n’y a rien de nouveau, nous recommencerons, mais cette fois, ce sera pour aller chercher en bas notre dîner. » Si vous voulez m’en croire, Villanneva, aussitôt que la nuit sera venue, vous donnerez l’ordre à l’ingénieur de canon-ner le camp des sauvages. Ce sera le signal, pour nous, de mourir, mais au moins de mourir en braves, les armes à la main.

— Je donne deux heures encore, sans une minute de plus, aux illusions de Pedro Vicente. Ces deux heures révolues, je serai prêt, Robert, » répondit Estevan, d’un ton qui n’admettait pas de réplique.

Le gambusino se tut.

Le soleil, en ce moment, touchait presque, de l’extrémité inférieure de son disque agrandi, les bords lointains du llano.

Le gambusino était monté sur une des hautes et larges roches du parapet, qui lui servait parfois d’observatoire.

Au milieu de cet embrasement de l’horizon, il lui sembla voir briller, au loin, un reflet métallique, et, braquant la longue-vue sur le foyer même de la lumière solaire, immobile, ferme comme un tronc d’arbre, il demeura dans cette attitude pendant quelques secondes, sans jeter une exclamation, sans prononcer une parole. Puis, tout à coup, pliant les genoux pour se mettre à la portée d’Estevan, il lui tendit la longue-vue, et celui-ci remarqua deux grosses larmes qui roulaient sur ses joues bronzées.

« Quoi donc, demanda-t-il, qu’avez-vous, Pedro Vicente ? Que signifient ces larmes ? »

Le gambusino passa la main sur ses paupières, et, indiquant, du geste, le disque, amoindri de moitié déjà, du soleil couchant, il dit, d’une voix étranglée :

« Vous ne direz pas, cette fois, que je rêve : les voilà !…

— Les voilà, qui ? Que voyez-vous, que croyez-vous voir là-bas, senor gambusino ?

— Je vois des armes qui reluisent, aux derniers feux du jour, dit-il d’une voix profondément émue ; et à qui appartiendraient-elles, sinon aux lanciers du colonel Requeñes ? »

L’émotion était à son comble. Tout le monde avait pris place à côté du gambusino ; la longue-vue, en quelques instants, passa de la main d’Estevan dans toutes les mains ; et quand le soleil plongea derrière l’horizon, comme dans un abîme, il n’y avait plus de doute pour personne sur le plateau : les réguliers mexicains étaient là, à quelques milles, tout prêts à fondre sur la bande des Coyoteros.

Robert Tresillian cherchait à percer, du regard, les ombres de la nuit qui s’épaississaient rapidement, et le gambusino, devinant son idée :

« Si Henry n’était pas là, personne n’y serait, lui dit-il. Brave, brave jeune homme ! Vous me rendrez cette justice, señor, que je n’ai pas douté de lui un seul instant. »

Sur le plateau, comme sur le pont d’un navire désemparé, où l’espoir renaît à l’aspect d’une voile entrevue dans le lointain, les mineurs s’embrassaient.

On oubliait les jours de misère ; on oubliait la faim. Les secours n’étaient-ils pas en vue ?

On tint conseil aussitôt : fallait-il donner signe de vie aux survenants que les Apaches n’avaient évidemment pu encore apercevoir, puisque, pour les mineurs placés à cinq cents pieds au-dessus du llano, ils se confondaient avec l’extrême limite de l’horizon ?

N’était-ce pas le moment, disait Robert Tresillian, d’user de la lumière électrique, et d’envelopper, dans une nappe flamboyante, le campement du Zopilote, pour le désigner plus sûrement aux coups de Requeñes ? Henry n’avait-il pas dû lui expliquer comment, dans les longues heures de la captivité, les mineurs, sous la direction de l’ingénieur, avaient employé leur temps et s’étaient préparés à user de l’outillage électrique dont ils disposaient ?

L’idée faillit être agréée, et déjà l’ingénieur ne parlait de rien moins que de mettre en outre, et sans plus tarder, le feu à ses deux pièces d’artillerie qui ne demandaient qu’à faire leurs preuves, quand heureusement, en homme toujours avisé, le gambusino représenta que tout cela ne pourrait avoir d’autre effet que de contrecarrer les plans du colonel Requeñes, dont l’idée devait être de surprendre