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qu’ils se trouveraient encore sur la Montagne-Perdue.

— Aussi bien, dit Henry, ce n’est pas cela que je cherche.

— Alors, que cherchez-vous ? » dirent ensemble le colonel et don Juliano.

Henry Tresillian, la longue-vue rivée aux yeux, ne répondit pas. Il interrogeait l’horizon fermé par la montagne, avec une inquiétude extrême.

Soudain, il jeta une exclamation d’allégresse, et, passant la longue-vue au colonel Requeñes.

« Dieu soit loué ! s’écria-t-il, ils sont encore là.

— Comment le savez-vous ? demanda le colonel. Qui peut vous fournir, d’ici, le moindre indice de leur présence.

— Regardez à droite, colonel ; au plus haut de la montagne, ne voyez-vous pas quelque chose comme un trait se détachant sur le ciel ? Eh bien, c’est le drapeau national du Mexique que don Estevan avait fait hisser sur le point le plus élevé du plateau. Il y est encore, tenez, là, à droite, au bord même de la montagne. Ce ne serait rien qu’une raie dans l’espace, pour d’autres. Pour moi, ce rien, c’est lui. Or, il était convenu, avec don Estevan, que le drapeau ne cesserait de flotter que si l’on était obligé d’abandonner la montagne.

— Par le ciel, vous dites vrai, jeune homme ! et je ne sais si c’est une illusion, mais il me semble distinguer jusqu’à l’aigle qui apparaît d’ici comme un point surmontant un I. Ah ! nous ne sommes donc pas arrivés trop tard pour sauver nos amis, et il nous sera enfin donné de châtier ces pirates de la Sonora. »

Instantanément, la nouvelle se répandit dans toute la troupe, depuis les premiers rangs jusqu’à l’arrière-garde.

Ce fut un enthousiasme général.

Ce n’était pas en pure perte qu’on avait fait tant de chemin dans le désert et sous un soleil implacable.

D’instinct, le mouvement en avant s’était accéléré.

Un frémissement belliqueux circulait dans tous les rangs. Tout en marchant, chacun visitait ses armes, inspectait la batterie de son revolver et faisait jouer les sabres et les poignards dans leurs gaines et dans leurs fourreaux.

Ceci se passait vers la moitié du onzième jour, et sur le plateau de la Montagne-Perdue, l’angoisse avait atteint son paroxysme.

Le colonel Requeñes, homme de grande expérience, ne faisait rien à la légère. Il allait d’un escadron à l’autre, et tout en inspectant ses hommes, il consultait les principaux officiers sous ses ordres, afin de s’éclairer sur leurs dispositions.

Après avoir pris l’avis de chacun en particulier, il les réunit dans une courte halte et leur demanda s’il ne leur paraîtrait pas possible, dès qu’on arriverait à portée de canon, de commencer l’attaque par l’artillerie.

Il abondait ainsi dans le sens de la plupart de ceux qu’il avait interrogés et qui lui avaient paru un peu trop pressés d’agir ; mais il ne voulait sans doute pas se charger lui-même de modérer leur ardeur, car, s’adressant à son major qui, jusque-là, n’avait pas donné son avis, il le somma de s’expliquer.

Le major, un vieux soldat, blanchi sous le harnais, et que trente ans d’expérience avaient familiarisé avec ces sortes de guerres, ne fit pas attendre sa réponse.

« Colonel, dit-il, n’oubliez point que ces Apaches, dont vous venez d’apercevoir les tentes à l’aide de votre longue-vue, ne se doutent pas encore de notre arrivée, et que, pour les écraser d’un coup, avec le moins de perte possible, mieux vaudrait les surprendre que les avertir à coups de canon qu’ils vont nous avoir à leurs trousses. Il me semblerait plus sage de ne tomber sur eux qu’après les avoir enveloppés, sans qu’ils aient pu se douter de notre approche ni soupçonner les mesures prises par nous pour leur couper toute retraite.

— Messieurs, dit le colonel Requenes en s’adressant à ses officiers, je crois qu’à tout bien examiner le conseil du major est bon et que nous ferons bien de nous y rallier. Il n’a qu’un inconvénient, il me semble, celui de retarder de quelques heures notre attaque, Mais qu’importe, si ce retard doit en assurer le résultat ?

— Le colonel m’a bien compris, reprit le vieux soldat ; je suis aussi pressé qu’un autre, mais nous manœuvrerons bien plus sûrement quand la nuit sera tombée. D’ici là, et pendant que le jour permet de s’orienter, disposons nos hommes par détachements, de façon à former un demi-cercle, dont les deux extrémités viendront se fermer sur la Montagne-