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CHAPITRE XX
LE SOIR DU ONZIÈME JOUR


« Alors, cet amas de rochers, cette citadelle de granit que nous apercevons au loin, est bien la Montagne-Perdue ? demanda le colonel Requeñes à Henry Tresillian.

— Elle-même, colonel, répondit le jeune Anglais, qui marchait à côté du colonel, et servait de guide au régiment des lanciers de Zacatecas.

— Enfin ! dit le colonel avec un soupir de soulagement. Savez-vous, jeune homme, que je commençais à désespérer ? Mais dites-moi, vous qui avez déjà accompli ce voyage, quelle distance, à votre estime, nous en sépare ? Je parierais volontiers pour une vingtaine de milles.

— Et vous auriez raison, colonel. Quand nous sommes passés ici (je reconnais l’endroit à ce palmier-nain, sur l’écorce duquel le gambusino Pedro Yicente a gravé son nom), — il me souvient de lui avoir entendu dire qu’une distance de vingt milles nous séparait du pied de la montagne. »

Derrière les deux interlocuteurs, le régiment des lanciers s’avançait en bon ordre.

Un peu plus loin, les peones de don Juliano Romero marchaient dans une disposition moins régulière, mais les hommes étaient vigoureux, cavaliers accomplis, et l’ardeur la plus mâle se lisait sur leurs visages.

L’artillerie légère suivait, attelée de chevaux solides, et roulant sans bruit sur le sable du llano.

Enfin, un dernier escadron de lanciers chevauchait à une certaine distance, formant l’arrière-garde.

Malgré les obstacles ou plutôt les difficultés qui s’opposaient à la marche d’une colonne nombreuse, la troupe du colonel Requenes avait fait diligence.

Mais arriverait-elle à temps ? C’est ce que se demandait le colonel et Henry. La Montagne-Perdue apparaissait à l’horizon, mais la distance était trop grande encore pour que la petite armée pût apercevoir déjà le camp des Indiens.

« Jeune homme, dit le colonel en s’adressant à Henry Tresillian, nous voici presque au but de notre expédition, et c’est à vous que nous en sommes redevables. Mais depuis l’heure de notre départ d’Arispe, je n’ai pas ressenti une impression aussi douloureuse que celle qui me saisit en ce moment.

— À quoi pensez-vous donc, colonel, demanda don Juliano, qui les rejoignait au même instant ; est-ce que nous ne touchons pas à l’heure de la délivrance ?

— Qui sait ? dit tristement le colonel Requeñes.

— Comment ! qui sait ? Que dites-vous là, colonel ? Redouteriez-vous de ne pas venir à bout de ces chiens d’Indiens.

— Ce n’est n’est pas cela que je crains, riposta Requeñes. Mais répondez à cette question que depuis quelques heures je me pose, don Juliano : Avez-vous la certitude que nos amis sont à cette heure encore sur le plateau de la montagne ? Affirmeriez-vous qu’ils n’ont pas été obligés de se rendre ?

— Je l’affirme, señor, riposta vivement Henry Tresillian.

— Vous l’affirmez, mon jeune ami, dit doucement le colonel, mais qu’en pouvez-vous savoir ? Onze jours nous séparent de votre évasion, et, vous nous l’avez dit vous-même, la situation était alors presque désespérée.

— Voulez-vous me permettre, colonel, reprit Henry Tresillian, de vous emprunter votre longue-vue ?

— Volontiers, répondit le colonel Requeñes, mais la distance est trop grande pour que vous aperceviez les défenseurs, alors même