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C’était en vain que le gambusino leur expliquait qu’une troupe armée ne traverse pas le désert, avec tous ses bagages, comme un cavalier seul, monté sur une bête infatigable, et qu’il n’y avait pas encore de temps perdu. Cette espèce de fantasia exécutée par les Coyoteros en vue des assiégés, portait leur exaspération et leur découragement au comble.

Le ressort de l’énergie se brisait, et l’on ne disait plus sur le plateau : Que faire ? mais : Combien de temps encore avant d’en finir ?

Cependant, derrière le parapet et sur le plateau, les mines étaient creusées. C’était le gambusino lui-même qui s’était chargé de les allumer au moment voulu, alors que, après une sortie, on aurait réussi à attirer les sauvages sur le terrain miné à leur intention.

Don Estevan, si calme et si brave jusqu’alors, commençait à désespérer lui-même, et montrait à Pedro Vicente la mèche qui communiquait avec la mine :

« Voilà notre dernier secours, disait-il, et le plus tôt sera le mieux.

— Don Estevan, répliquait presque durement le gambusino, je ne vous reconnais plus. »

Et se tournant vers Tresillian :

« Penseriez-vous donc, vous aussi, que l’heure du désespoir ait sonné ?

— Je pense, répondit l’Anglais, que je suis prêt à tout, mais qu’avant de mourir il nous faut une vengeance éclatante.

— Nous nous vengerons, et il ne manquera rien à la fête, soyez-en sûr, riposta le gambusino ; tout est prêt, et nous sommes maîtres de leur vie, aussi bien que de la nôtre. »

Après avoir défilé aussi lentement que possible en vue de la Montagne-Perdue, toute la bande nouvelle des Indiens avait gagné le campement du Zopilote, où elle avait été accueillie toute la soirée pur des clameurs enthousiastes.

À la nuit, les Coyoteros allumèrent de grands feux, et le silence du désert ne fut plus troublé que par les cris gutturaux des sentinelles.

Sur le plateau, la plupart des hommes dormaient. Seuls, les chefs veillaient, en compagnie d’une douzaine d’hommes robustes et énergiques, dont la confiance dans le succès d’Henry Tresillian ne se démentait pas, et qui jugeaient qu’il fallait tenir quand même, sans avoir recours encore aux moyens d’extermination préparés.

Deux d’entre eux, la nuit précédente, avaient accompli un de ces actes d’incroyable audace qui sont presque en dehors de ce que l’on est convenu d’appeler le courage humain.

C’étaient deux amis d’Anguez et de Barral, les deux martyrs de la première tentative d’évasion.

Ayant remarqué que les sentinelles indiennes étaient postées deux par deux, de distance en distance autour de la base du rocher, et que les deux dernières, plus isolées, pourraient être abordées, si l’on pouvait descendre du plateau par la voie qu’avait prise Henry, ils avaient résolu de venger le supplice de leurs deux camarades sur ces deux dernières sentinelles, dès que la nuit serait venue.

Pour cela, ils avaient projeté de se faire descendre secrètement sur le llano par les trois mineurs au courant de la manœuvre, tout le long du chemin suivi naguère par le jeune Tresillian. Une fois là, leur idée était de contourner la Montagne-Perdue en se collant pour ainsi dire à ses parois, de ramper en silence, le poignard entre les dents, pour n’avoir plus qu’à saisir chacun son homme au moment voulu, sans bruit, et sans perdre un instant. L’issue dépendait de la rapidité de l’exécution.

Ils avaient certes toutes les chances d’être surpris et de trouver une mort certaine dans cette entreprise.

Mais mourir pour mourir, cette mort en valait une autre, et, d’ailleurs, n’étaient-ils pas maîtres, en cas d’échec, de se brûler la cervelle ?

Tout se passa comme ils l’avaient résolu. Avec une adresse sans pareille, ils avaient atteint les deux sentinelles indiennes les plus à leur portée, leur avaient, suivant leur programme, planté leur couteau dans la poitrine jusqu’au manche, sans qu’elles eussent pu pousser un cri ; puis, reprenant leur route en sens inverse, ils s’étaient fait rehisser sur le plateau.

Aux premières lueurs du jour, les assiégés avaient pu voir les deux sentinelles, couchées sur le dos, avec l’immobilité des cadavres, entourées d’un groupe de sauvages, à la fois furieux et stupéfaits de cet inexplicable incident.

Instruit bientôt par les cris des sauvages de ce qui venait de se passer, Estevan n’eut pas le courage de sévir contre cet acte d’héroïque indiscipline. Il feignit, ainsi que les autres chefs, de l’ignorer, mais il aurait serré de bon