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CHAPITRE XIX
UN EXPLOIT IN EXTREMIS


Le dixième jour après le départ du messager, les hôtes forcés de la Montagne-Perdue, en proie à la faim et à toutes les idées noires qu’elle suscite, furent les témoins d’un spectacle bien fait pour ajouter à leurs tourments.

Dans l’après-midi, ils virent poindre, à l’horizon, une longue file de cavaliers qu’ils reconnurent pour des sauvages.

C’étaient les Coyoteros qui revenaient de leur expédition sur les rives de l’Horcasitas.

À mesure qu’ils avançaient, lentement, car chacun des cavaliers était lourdement chargé de butin, les angoisses des Mexicains augmentaient.

Les habitants d’une ville assiégée, tant qu’ils ont des vivres, ne songent jamais à une issue funeste. Le bombardement n’épouvante point comme la disette. Mais, quand la faim apparaît, hâve et décharnée, adieu l’énergie ! C’est l’heure des idées sombres et que rien ne rassérénera plus.

Les Coyoteros survenants, très au fait de la situation, se dirigèrent dans le llano, de façon à passer le plus près possible de la Montagne-Perdue, tout en se tenant hors de la portée des fusils et des carabines des assiégés.

Peu à peu, leur file s’allongea sur le llano, s’agrandit, et leurs clameurs arrivèrent bientôt jusqu’aux oreilles des Mexicains, clameurs de bravade et de triomphe.

Entre deux pelotons de cavaliers, des prisonniers blancs marchaient, liés deux à deux, les vêtements en lambeaux, déchirés par les coups, les pieds saignants. Quant aux femmes, la plupart des cavaliers apaches en tenaient une en travers de leur monture.

Derrière, suivait le butin, consistant en bétail, que quelques sauvages malmenaient en galopant sur les flancs du troupeau.

Et ce qui produisit au haut de la Montagne-Perdue une impression lugubre, à mesure que la bande approchait, c’étaient les plaintes des prisonniers qu’ils entendaient, parfois, à travers les hurlements des sauvages en délire et presque tous ivres.

Dans le pillage de l’établissement qu’ils venaient d’incendier et de détruire, ils avaient découvert des fûts d'aguardiente auxquels ils avaient donné de rudes assauts, tout le long de leur route, de sorte que leur cortège ressemblait à une sarabande de démons.

Dans la disposition d’esprit où se trouvaient les assiégés, ce spectacle ne pouvait manquer de produire sur eux une impression funèbre.

Dix jours s’étaient écoulés, et au lieu des secours attendus, espérés du moins, voilà ce qu’ils voyaient : des prisonniers qu’on leur montrait et qu’on maltraitait avec affectation, comme pour leur indiquer le sort qui les attendait.

Pedro Vicente, plus robuste et plus habitué aux privations que les mineurs, ne sut cependant se contenir. Debout sur le bord du plateau, il invectivait les Apaches qui défilaient, faisant avec outrecuidance caracoler leurs mustangs sous les yeux des assiégés.

La senora Villanneva et sa fille Gertrudès ne se montraient plus hors de la tente. Eh quoi ! malgré leurs prières ardentes et répétées, rien n’apparaissait du côté du sud ? pas le moindre indice ? Portées, plus que les hommes encore, à mettre tout au pire, elles pensaient qu’Henry Tresillian n’avait pu franchir la distance qui séparait la Montagne-Perdue d’Arispe, et que, s’il n’avait pas été surpris par une bande de coureurs apaches, il avait succombé, d’une façon ou d’une autre, aux prises avec un de ces mille dangers que le désert tient en réserve, à chaque pas pour ainsi dire, de sa vaste étendue.