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remettra ce pli vous donnera tous les détails de notre situation, que le temps écoulé, depuis son départ, n’aura fait que rendre plus difficile. Sachez seulement que notre vie, à tous, dépend de vous seul, et que, faute de votre aide, il ne nous reste plus qu’à mourir.

« Estevan. »

« Par tout ce que j’ai de plus cher au monde, nous les sauverons, s’écria le colonel, s’il en est temps encore. Êtes-vous prêt, jeune homme, à nous servir de guide ? »

Il s’aperçut alors que le messager, épuisé de fatigue et de besoin, était tombé sur un siège, presque inanimé, ne donnant plus signe de vie, la tête inclinée sur l’épaule et les bras pendants.

Il pria son ordonnance de faire préparer, aussi promptement que possible, un repas réconfortant et fit avaler au jeune Tresillian quelques gouttes d’eau-de-vie de France. Celui-ci se remit peu à peu.

« Excusez-nous, señor, dit le colonel, mais la terrible nouvelle que vous nous apportez nous a fait oublier l’état de défaillance où vous êtes. De grâce, ne nous dites pas un mot avant d’être tout à fait remis. »

En ce moment, un domestique entra, portant, sur un plateau, quelques viandes froides et des fruits, avec un flacon de vin généreux.

Henry Tresillian se mit à dévorer, le besoin étant le plus fort ; mais la première faim assouvie, il pensa que, là-bas, sur la Montagne-Perdue, la famine se montrait menaçante, impitoyable. Et s’adressant au colonel Requeñes :

« Señor colonel, dit-il, vous avez lu la lettre de don Estevan, eh bien ! si vous tenez à le sauver, lui et les hommes qui l’accompagnent, il n’est que temps de partir. Excusez-moi d’avoir autant tardé à prononcer ces paroles. »

Le colonel, avec une bonhomie toute militaire, le rassura :

« Mangez, jeune homme, dit-il ; entre deux bouchées, vous pourrez nous apprendre peu à peu ce que nous avons besoin de savoir. D’ailleurs, il nous faut le temps de faire les préparatifs nécessaires, et nous ne pouvons partir avant l’aube de demain.

— Avant tout, interrompit don Juliano, où sont nos amis ?

— En sûreté relative, dit Henry, s’ils avaient des vivres, mais toutes leurs ressources, à cette heure, doivent être épuisées ou à peu près. Connaissez-vous, seoñores, un point du désert que l’on nomme la Montagne-Perdue.

— Ce n’est pas la première fois que ce nom frappe mes oreilles, dit le colonel Requeñes.

— Moi, je l’ai vue, poursuivit don Juliano. C’était donc là le but secret vers lequel le gambusino vous guidait ? »

Henry Tresillian raconta alors ce qui était arrivé, la soif qui avait eu raison de la caravane, bêtes et gens, et la fortune que l’expédition avait eue d’arriver à temps au lac et à la Montagne-Perdue, et de pouvoir s’y réfugier, grâce au gambusino, au moment même où pendant que les hommes et le bétail se désaltéraient, la présence des Indiens avait été signalée, et en tel nombre, qu’il n’y avait pas eu lieu de songer à se défendre en plaine.

« Quelles peuvent être les forces des Coyoteros ? demanda le colonel ?

— Cinq cents hommes environ, répondit Henry, mais, selon toute apparence, ils sont rejoints, à cette heure, par une autre bande, de près de deux cents cavaliers, qui a dû faire une excursion sur les rives de l’Horcasitas, attirée, au dire de Pedro Vicente, par l’espoir d’y piller quelque établissement avancé et trop peu sur ses gardes.

— Ce n’est que trop vrai ! dit le colonel. Ces maudits se jettent, depuis quelque temps, sur des colons trop audacieux que nos conseils n’arrêtent pas et ne détournent pas de téméraires entreprises. Nous leur enverrons néanmoins du secours, sans plus tarder. — Tout ce que je vois de plus clair, ajouta-t-il, en ce qui concerne Estevan, c’est que la situation réclame une expédition en règle, et que vos peones ne seront pas de trop, don Juliano. — Avez-vous la certitude, señor Tresillian, de pouvoir nous guider par le plus court ? Nous n’avons pas un instant à perdre. »

Le jeune Anglais eut un sourire :

« Señor colonel, dit-il, j’ai mis cinq jours à venir, en droite ligne, de la Montagne-Perdue, à travers des obstacles que je reconnaîtrai, qui seraient insurmontables pour une troupe, et que nous tournerons. Si, dans sept jours, nous n’apercevons pas le drapeau mexicain flottant au sommet de la Montagne-Perdue, c’est à moi qu’il faudra vous en prendre.

— C’est bon, dit le colonel, et je vous re-