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qu’il ne me soit pas prouvé que, surtout en cas d’insuccès, le gouvernement m’approuvât de l’avoir fait. »

Don Juliano Romero demeura silencieux pendant quelques instants ; puis se redressant dans une attitude énergique :

« Colonel, dit-il, je comprends, je ne dirai pas vos hésitations, mais les scrupules qui s’opposent à ce que vous engagiez dans le désert, sans but précis, les hommes que vous avez sous vos ordres. Pour moi, il n’y a plus, maintenant, de considérations qui puissent me retenir, et, dès demain, je me mets en route avec mes peones, solidement équipés et armés. Tout est préférable à l’incertitude qui m’accable.

— Don Juliano, dit le colonel, vous avez raison ; Quant à moi, si je ne puis lancer tout mon régiment dans une aventure, j’ai le droit et même le devoir de vous faire accompagner par deux ou trois escadrons. Vous protéger est un but précis dont je ne saurais décliner la responsabilité. — Cecilio, ajouta-t-il en s’adressant à son officier d’ordonnance, veuillez prévenir le major Garcia que j’ai à lui parler sur-le-champ.

Le jeune officier s’éloigna, mais il revint presque aussitôt.

Au même moment, une clameur inusitée montait de la place et retentissait jusque dans l’appartement du colonel Requeñes.

« Regardez, dit le jeune officier, vous attendiez des messagers, colonel, je crois, en vérité, qu’en voici un qui arrive, porté par la foule. »

Le colonel et don Juliano se précipitèrent aux fenêtres.

Sur la grande place d’Arispe, un jeune cavalier s’avançait, pâle, les traits fatigués, les vêtements en désordre, couvert de poussière. Son cheval, tout blanc d’écume, semblait à bout d’efforts.

Mais le cavalier qui sentait, sans doute, qu’une fois à terre ses forces l’abandonneraient, montrait, de la main, l’hôtel du commandant des forces d’Arispe.

Pour accomplir ce geste et donner cette indication, il avait relevé la tête.

Le colonel le reconnut, et serrant fébrilement le poignet de don Juliano :

« Par le ciel ! s’écria-t-il, ou mes yeux me trompent, ou ce cavalier n’est autre que le jeune Tresillian ! »

C’était bien lui, en effet, qui, après cinq jours et cinq nuits d’une course vertigineuse dans le désert, venait de pénétrer dans Arispe.

Le malheureux jeune homme n’en pouvait plus.

Depuis vingt-quatre heures, sa gourde était vide et ses provisions disparues, il n’avait ni bu ni mangé.

Quand il aperçut le colonel à la fenêtre de son hôtel, tout ce qu’il put faire ce fut de tirer, de la poche de sa veste, le pli cacheté que lui avait confié Estevan de Villanneva, et de le tendre vers lui, avec un geste plus éloquent que toutes les paroles.

Le colonel, très ému lui-même, ainsi que don Juliano, lui ouvrait les bras.

Quelles nouvelles apportait Henry ? La caravane était-elle saine et sauve ? Survivait-il seul à un complet désastre ?

Henry, toujours entouré par la foule, atteignit la porte de l’hôtel, descendit de cheval et jeta la bride dans les mains d’un lancier envoyé par le colonel Requeñes.

« Puis-je compter sur vous, dit-il, pour panser cette noble bête.

— Comme sur vous-même, señor, répondit le soldat. Le cheval avant le cavalier ; c’est de droit. »

Henry Tresillian mit dans la main du lancier de quoi l’encourager à bien faire, et pénétra dans la maison.

Le colonel et don Juliano accouraient au-devant de lui.

« Ce sont de mauvaises nouvelles que vous apportez sans doute ? demanda l’haciendero.

— Elles ne sont pas bonnes, en effet, répondit Henry ; mais vous le saurez mieux, señor, quand le colonel aura pris connaissance de cette lettre, qui lui est adressée par don Estevan. »

Le colonel prit la lettre, brisa vivement le cachet et se mit à lire à haute voix :

« Mon cher frère,

« Si le ciel permet que vous lisiez jamais ceci, c’est qu’il nous aura pris en pitié ; nous sommes dans une situation extrêmement critique, et que chaque jour aggrave : assiégés que nous sommes en plein désert par les Coyoteros, la plus cruelle de toutes les tribus apaches. Le vaillant jeune homme qui vous