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Pendant qu’il s’éloignait ainsi, l’ingénieur déclara qu’il serait en mesure, s’il le fallait, d’éclairer la plaine sur les pas d’Henrv, à une lieue de distance.

Le gambusino posa brusquement la main sur son bras.

« Gardez-vous-en bien ; cette lumière inattendue pourrait le trahir encore plus que l’aider en ce moment. Ne faisons rien qui puisse donner l’éveil aux Apaches, avant qu’Henry soit hors de leur atteinte. »

Ces hommes, si réellement braves, retenaient leur respiration, pour mieux entendre ; mais aucun bruit n’arrivait à leurs oreilles.

« Señores, dit le gambusino, ce silence même est la preuve que don Henry n’est pas, pour l’instant, en danger. »

Un coup de sifflet, léger comme un souffle, mais modulé d’une certaine façon particulière à Henry, arriva jusqu’à eux au même instant.

« Ou je me trompe fort, dit Pedro, ou le jeune homme vient d’appeler l’attention de son Crusader. »

Dans le llano, Henry Tresillian se dirigeait vers l’ouest. L’étoile polaire lui servait comme de point de repère.

Après avoir parcouru une distance de quatre-cents mètres environ, le jeune Anglais avait pensé, en effet, qu’il était temps de se faire reconnaître de Crusader, comme il avait l’habitude de le faire autrefois.

Si le cheval ne répondait pas à l’appel, c’était une chose bien convenue, Henry Tresillian, après trois essais infructueux, devait revenir sur ses pas, saisir la corde à nœuds et regagner la galerie, à l’aide de ceux qui l’attendaient.

Ô bonheur ! dès son premier signal, le trot allongé d’un cheval parvint bientôt à son oreille.

Crusader s’était senti averti, il n’y avait pas à s’y méprendre.

Henry Tresillian, avec moins de précaution que la première fois, donna un second coup de sifflet.

Quelques secondes après, il sentait, sur son visage, le souffle bruyant de Crusader.

Le noble animal, dans sa joie de retrouver son maître, posait la tête sur ses épaules, et le jeune Anglais, oubliant, pour un instant, que les moments étaient précieux, prenait cette tête dans ses deux mains et la baisait.

La reconnaissance était faite. Le cheval et le cavalier, sûrs l’un de l’autre, étaient prêts. Henry passa dans la bouche de Crusader son mors que Pedro avait eu la présence d’esprit de lui remettre, au moment où il allait opérer sa descente, ainsi qu’une couverture, et, d’un bond, il avait sauté sur le dos du vaillant animal qui s’élança comme une flèche.

Penché sur l’encolure de Crusader, Henry se sentait, avec ivresse, emporté dans une course effrénée. Sa poitrine dilatée aspirait l’air à pleins poumons.

Son père et ses amis, penchés sur le bord de la galerie, tendaient encore l’oreille et interrogeaient encore les moindres bruits du désert, que le gambusino ne doutait déjà plus du succès.

« Votre fils est à cheval, señor, dit-il à Robert Tresillian, j’en jurerais. Tenez, Crusader vient de hennir, et ce hennissement était joyeux. C’est signe qu’il a retrouvé son maître. »

Robert Tresillian, trop ému pour se rendre à ces raisons, s’efforçait encore, mais en vain, de percer du regard les ténèbres épaisses qui s’étendaient sur le llano.

À ce moment, le gambusino dit quelques mots à l’oreille de l’ingénieur.

Tout à coup, avec l’éclat fulgurant d’un jet de poudre, une fusée de lumière électrique éclaira, pendant quelques secondes, tout un angle de la plaine.

L’instant ne pouvait être mieux choisi.

Henry apparut soudain, à son père et à ses amis, comme dans un éclair. Monté sur Crusader, il volait sur la route d’Arispe.

Le jet de lumière lancé sur le llano n’avait eu que la durée d’une seconde, le temps de voir ce qui se passait dans un certain rayon, puis, tout était rentré dans l’ombre.

Les Indiens, quand bien même ils eussent aperçu quelque chose, n’auraient pas eu le temps de se rendre compte de ce qui n’eût pu être pour eux qu’un inexplicable phénomène. Le jet de la lumière était d’ailleurs dirigé du côté de la Montagne-Perdue opposé à leur campement.

Mais cet éclair avait suffi pour rassurer le père et les amis du cavalier.

« Sauvé ! Henry est sauvé ! s’écria son père en s’essuyant les yeux.

— Et, à son tour, il nous sauvera ! dit le gambusino, Tous les atouts, pour cette fois, sont dans son jeu, et, par conséquent, dans le nôtre. »

On ne dormit guère, cependant, cette nuit--