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C’était donc sans surprise qu’il l’y retrouvait ; mais cette circonstance venait de lui inspirer une résolution soudaine.

« Cette fois, dit-il, et sans qu’il soit besoin de faire appel au sort, c’est moi qui partirai. Il y va de l’intérêt de tous. »

Cette intervention inattendue provoqua un moment de surprise.

« Vous, dit don Estevan, pourquoi vous, mon jeune ami, plutôt qu’un autre, plutôt que Pedro Vicente, qui, tout à l’heure, réclamait cet honneur pour lui ?

— Toi, Henry, s’écria Robert Tresillian, toi, mon enfant ?

— Moi-même, señor, moi-même, mon père, répliqua le hardi jeune homme, et par la raison péremptoire que nul ici ne saurait avoir autant de chances que moi de réussir. Une fois en bas, grâce à un signal qui est familier à Crusader, j’ai la presque certitude, qu’un autre que moi n’aurait pas, de l’entendre accourir. Il n’y a pas un mustang des Apaches pour suivre Crusader, vous le savez, et puisque vous croyez, señor, qu’il faut être deux pour gagner la route d’Arispe, les voilà trouvés : Crusader et moi ! Lui et moi, si tout ne conspire pas contre nous, pouvons seuls arriver à Arispe.

Ému de ce langage hardi, le gambusino se rapprocha du jeune homme, et lui serra vigoureusement les mains :

« Laissez-moi, du moins, partir avec vous, Henry, dit-il. Je suis sûr de vous faire gagner Arispe en ligne droite, tandis que vous… »

Henry Tresillian ne lui donna pas le temps d’achever.

« Soyez sans inquiétude, dit-il, et ne me détournez point. S’il fallait sortir à pied, Pedro, je n’oserais me mettre en ligne avec vous, ou plutôt nous partirions ensemble, en effet ; mais vous n’ignorez pas que Crusader ne se laisse monter que par moi.

— Et si vous ne le trouvez pas au bas de la montagne ?

— Je le trouverai. Mais si, par impossible, je ne le trouve pas, dit Henry Tresillian, eh bien, je vous attendrai en bas, senor Pedro, et cette fois, nous partirons ensemble. »

Un frémissement électrique courut dans l’assistance.

Chacun sentait que le jeune homme avait raison. Quel meilleur compagnon que ce Crusader pour voler vers Arispe ?

Robert Tresillian, fier de son fils, le serrait dans ses bras. Quant à don Estevan, tout en reconnaissant que le jeune homme avait raison, il songeait à sa fille Gertrudès, à qui une telle nouvelle allait causer nécessairement une cruelle émotion.

Seul, l’ingénieur, dans son for intérieur élevait des objections. Il se disait qu’il faudrait une chance providentielle pour que, dans une manœuvre aussi difficile, une corde ne vint pas à se rompre, à s’user, à se couper sous le frottement presque inévitable de l’arête de quelque rocher. Mais avait-il le droit de les émettre, quand il n’avait rien de mieux à proposer.

Il fut convenu que le départ aurait lieu dans la nuit même, et l’on reprit le chemin du bivouac.

La petite troupe des explorateurs y rentrait à peine, qu’un mineur y accourait hors d’haleine.

Il raconta qu’en s’efforçant, avec un de ses camarades, de déplacer un bloc de rocher qui gênait la trace d’un chemin que l’ingénieur leur avait donné à faire presque à l’extrémité du plateau, du côté opposé au ravin, il avait été stupéfait de voir ce bloc s’enfoncer subitement sous terre, et disparaître avec un fracas épouvantable, quelque chose comme une série de détonations, se répercutant dans un abîme.

Surpris et presque effrayé d’abord, il avait bientôt repris courage, et déblayé l’entrée de l’excavation avec l’aide de son compagnon et de quelques autres mineurs qu’ils avaient appelés.

Ils avaient mis ainsi à découvert l’orifice du trou d’un puits naturel qui devait être extrêmement profond, à en juger par le temps qu’avaient mis à arriver au fond d’autres pierres successivement jetées par eux, après la chute inattendue du premier bloc.

Devant ce trou béant, ils avaient dû s’arrêter et ses camarades l’envoyaient avertir l’ingénieur et lui faire part de la découverte.

Une caverne n’est pas chose rare sur les montagnes. Mais, dans l’état d’esprit où se trouvaient les assiégés, la moindre chose nouvelle prend les proportions d’un événement. En tout cas, il fallait voir.

L’ingénieur avait écouté avec un très vif intérêt le récit de son ouvrier. Il réunit aussitôt les hommes les plus habiles de son équipe de mineurs, leur fit emporter tout ce qui