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qu’on travaillerait au bivouac, don Estevan et ses amis accompagneraient le gambusino, qui leur expliquerait, sur le terrain même, ses moyens d’évasion.

Dès le matin, tout le monde était au travail. Les femmes étaient occupées à recueillir toutes les feuilles de mezcal tombées depuis quelques jours, ce qui permettait de les employer sans retard, les feuilles fraîches ne pouvant immédiatement servir à l’usage réclamé.

Des hommes, munis de maillets de bois grossiers, façonnés en un rien de temps, dégrossis à la hache, battaient, sans relâche, les feuilles sèches contre les troncs d’arbres pour isoler les fibres, et d’autres tordaient celles-ci pour en faire des fils minces qui, réunis et fortement tordus à leur tour, prenaient bientôt la forme de cordages solides.

L’espoir était revenu, et avec lui le courage. Les plus indolents s’étaient mis à l’œuvre.

Pendant que chacun faisait ainsi de son mieux, don Estevan, en compagnie des deux Tresillian, de l’ingénieur et du gambusino, explorait le côté de la Montagne-Perdue désigné, la veille, à l’attention de Pedro Vicente, par la disparition du carnero.

Ce n’était pas sans une émotion vive que l’on marchait.

Au bout de cette seconde expérience qu’on allait tenter, dont on se préparait, d’abord, à peser toutes les chances, on apercevait, comme toujours, l’armée de secours, le régiment de lanciers du colonel Requenes.

Le gambusino avait dit vrai : il expliquait clairement le saut du carnero et démontrait qu’en suivant l’exemple donné par l’intelligent animal, la descente, quoique extrêmement périlleuse, n’était peut-être pas impossible à un homme. Penchés sur le vide, avec toute l’audace de gens qui espèrent et n’ont pas le temps de songer au vertige, don Estevan et ses compagnons scrutaient les moindres accidents de la paroi, suivant les indications de Pedro Vicente, qui faisait sa démonstration avec une lucidité merveilleuse, en homme sûr de ce qu’il avance.

De place en place, à partir d’une trentaine de pieds au-dessus du bord supérieur, cette face de la Montagne-Perdue se composait d’une succession de petites corniches ou plutôt de saillies de rocher perpendiculaires à la paroi, et très étroites, ce qui devait les rendre parfaitement invisibles de la plaine, mais présentant assez de surface, cependant, pour que des hommes pussent s’y tenir debout. À l’aide des cordes, on devait pouvoir descendre d’une corniche à l’autre. À partir de la dernière, à cent cinquante pieds environ au-dessus du sol, le rocher, nu et tout à fait lisse, descendait jusqu’au llano, avec une inclinaison légère, sur laquelle le carnero, affolé par la poursuite, avait bien pu se laisser glisser, rouler peut-être.

La hauteur de cette dernière étape méritait attention, sans doute ; mais avec une corde à nœuds, solidement fixée et tenue à la dernière corniche par les deux hommes qui l’auraient aidé à y parvenir, un homme seul, habile et de sang-froid, pouvait s’en tirer. Dans son ensemble, le saut était périlleux, à coup sûr, la manœuvre difficile ; mais à la grâce de Dieu ! Qui ne risque rien n’a rien !

Bref, le gambusino, pour se résumer, raconta que la reconstitution, faite par la pensée, de cette fuite prodigieuse du carnero, lui avait inspiré l’idée de prendre la même route, lui-même, pour gagner Arispe.

Don Estevan et ses compagnons étaient émerveillés de tant de sagacité.

Les regards plongés jusqu’au fond de l’horizon, avec une sorte d’ivresse, on ne pensait pas, momentanément, aux difficultés de cette descente de cinq cents pieds, qu’il fallait accomplir avant de se lancer sur le llano.

Dans l’enthousiasme du moment, chacun d’eux eût voulu partir, dès l’instant, en plein jour, sans songer à l’œil perçant des Indiens.

Tout à coup, en explorant l’étendue du llano, le regard de Pedro s’arrêta sur un point noir mobile, qu’il fit remarquer à ses compagnons, et qui semblait grandir en se rapprochant de la montagne.

Henry Tresillian, au premier coup d’œil, reconnut Crusader.

« C’est lui, s’écria-t-il. En vérité, ne semble-t-il pas, par sa présence en un pareil moment, me dire encore : — Vous savez, si vous avez besoin de moi, je suis là »

Henry avait, plus d’une fois, dans ses promenades, aperçu son cheval dans les mêmes parages, et en avait conclu que son brave Crusader avait sans doute rencontré, dans cette direction, en même temps qu’une retraite plus sûre, quelque pâturage plus à son gré qu’un autre, et dont il avait fait son quartier général préféré.