Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/751

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le malheureux était dépouillé de ses vêtements, et sur sa poitrine s’étalait, sinistre, la tête de mort, emblème de la tribu, entre les deux ossements croisés.

Les deux poignets réunis par une corde au-dessus de la tête, les deux pieds liés, les côtes saillantes, le muletier tournait la tête vers la Montagne-Perdue, comme s’il eût espéré en voir descendre le secours et la délivrance.

Alors, les sauvages s’éloignèrent, et, l’un après l’autre, prenant pour cible la poitrine du prisonnier, ils tirèrent jusqu’à ce qu’ils eussent remplacé, par un trou sanglant, la tête de mort, totalement disparue.

Graduellement le cercle s’élargit et s’effaça sous une tache écarlate.

Il y avait longtemps que la mort avait délivré l’infortuné muletier, que les brutes, ivres de sang et de rage, tiraient encore.

Enfin, et pour renouveler le drame avec un surcroît de férocité, ils attachèrent Jacobo Barral par-dessus le cadavre de son camarade et recommencèrent leurs exercices avec la même adresse elles mêmes hurlements. Puis, deux d’entre eux scalpèrent les victimes, et, brandissant les chevelures saignantes au-dessus de leur tête, ils s’approchèrent, autant que le permettait la prudence, de la Montagne-Perdue, en agitant leurs lugubres trophées aux yeux des Mexicains impuissants.

Un peu avant le coucher du soleil, une consolation fut offerte aux assiégés. Anguez et Barral avaient tenu parole. Aucune des balles de leurs revolvers n’avait été perdue, et leurs machetes mêmes y avaient été de surcroît :

Les Indiens procédaient aux funérailles de quinze des leurs. La vie des deux Macchabées du plateau leur avait coûté cher.

La vue de cette glorieuse hécatombe redoubla les regrets dus à la mort des deux héros.


CHAPITRE XVI
UN SAUT PRODIGIEUX


Pendant toute la journée, la consternation régna sur le plateau de la Montagne-Perdue.

Le passage presque instantané de l’espérance à l’abattement courbait les plus forts. Maintenant il n’y avait plus rien à faire : voilà ce qu’on se répétait l’un à l’autre. Et au bout de tout cela, comme couronnement, la fin jadis entrevue, l’épuisement des ressources et la mort, la mort de Barral et d’Anguez !

Don Estevan comprit qu’il fallait faire diversion à ces décourageantes pensées, dont il redoutait les progrès contagieux.

Le martyre de Benito Anguez et de Jacopo Barral, si glorieux qu’il fût pour leur mémoire, n’était pas fait, certes, pour inspirer des idées moins funèbres ; et c’est précisément contre cette disposition qu’il lui parut nécessaire de réagir.

Réclamer une nouvelle tentative d’évasion eût été inutile. D’ailleurs, les Coyoteros, maintenant sur leurs gardes, ne manqueraient pas de redoubler de vigilance ; et, de ce côté, tout espoir était perdu. Il n’y fallait plus songer.

Mais l’homme qui se noie, avec la certitude la plus complète de la mort, doit lutter jusqu’au bout, fût-ce en plein Océan.

Voilà ce que se disait don Estevan, et voilà la résolution qu’il fallait faire pénétrer dans le cœur de ces mineurs abattus.

L’exemple de Barral et d’Anguez, dont les Apaches n’avaient pu avoir raison qu’après avoir perdu quinze des leurs, n’était-il pas un noble exemple ?

Tomber, mais sur des monceaux de cadavres ennemis, serait la ressource suprême qui ne pouvait leur échapper.