Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/748

Cette page n’a pas encore été corrigée

Il faut si peu de chose pour rallumer une lueur d’espérance chez les plus désespérés, qu’on vit, en un instant, tous les visages s’éclaircir.

Le jeune Tresillian, avec toute l’ardeur de son âge, demanda que le tirage au sort eût lieu à l’instant même.

Mais don Estevan jugea qu’il était nécessaire de prévenir les hommes aptes à prendre part à cette loterie dont l’enjeu était la mort probable ; et il fut convenu que le tirage aurait lieu le lendemain.

On commença donc par s’enquérir du nombre d’hommes jugés capables de regagner Arispe, et de leurs dispositions ; et, le lendemain, on les réunit pour leur dire nettement ce qu’on attendait d’eux.

Pas un ne fit d’objection ; pas un ne chercha à se dérober à cette mission périlleuse.

En voyant Robert Tresillian et son fils disposés à affronter les mêmes chances qu’eux, plusieurs eussent volontiers imité le gambusino, qui s’était proposé la veille, et réclamé, comme une faveur, le droit d’affronter un péril qu’on sentait presque insurmontable.

Pour procéder à ce tirage, on prit autant de noix de pin-pignon qu’il y avait d’hommes propres à la terrible mission décidée, on en noircit deux avec de la poussière de charbons écrasés, poudre presque impalpable, et insensible au toucher, et l’on jeta la masse dans un sombrero.

C’était au sort de parler. Les deux noix marquées de charbon étaient les numéros gagnants de cette singulière tombola.

Les hommes se rangèrent en cercle autour de don Estevan, et chacun d’eux, à l’appel de son nom, vint successivement, les yeux bandés, plonger la main dans le sombrero que le chef tenait par les bords.

La scène était palpitante. Des exclamations sourdes accueillaient chaque noix sortante ; mais on n’attendit pas longtemps : la moitié des hommes n’avait pas encore défilé devant l’urne d’un nouveau genre, que les deux noix fatales avaient été saisies.

Les deux hommes désignés par le sort étaient un muletier et un bouvier, braves parmi les plus braves de cette troupe d’aventuriers.

Rompus à toutes les surprises du désert, ils avaient fait d’avance le sacrifice de leur vie, en mettant le pied dans le llano.

La nuit qui allait suivre ce même jour déciderait de leur sort.

Disons toutefois qu’avant qu’elle ne fût tombée, l’événement avait justifié une des prévisions du gambusino.

Les Indiens, dont l’arrivée soudaine avait causé une impression si décourageante sur le plateau, reprirent leur route dans la direction du fleuve Horcasitas, et ce ne fut pas sans une certaine satisfaction que les assiégés suivirent des yeux leur file allongée, jusqu’à ce qù’elle se perdit à l’horizon.


CHAPITRE XV
DÉNOUEMENT FATAL


« Il n’v a pas apparence que ces deux hardis compagnons puissent nous quitter cette nuit, dit don Estevan au gambusino.

— Peut-être, señor, reprit Pedro Vicente ; le désert, comme la mer, est riche en surprises. À voir cet espace sans limites, éclairé par un soleil ardent, ce ciel sans un nuage, il est permis de compter sur une nuit très belle, trop belle pour nos projets. Mais Benito Anguez et Jacopo Barrai sont prêts et résolus.