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prises. Or, comment surprendre des gens qui sont sur leurs gardes, que nous ne pouvons aborder que sur un point, et qui savent d’avance par où nous sortirons ?

— Alors, reprit brusquement Henry, toujours obsédé par son idée fixe, il n’y a, selon vous, qu’à nous morfondre ici, les bras croisés, jusqu’à ce que nos provisions soient épuisées, et à attendre que les Coyoteros, enhardis par notre couardise, nous surprennent, affaiblis et incapables même de vendre chèrement notre vie ?

— Je ne dis point cela, señor, et moi qui vous prêche la patience, je sens la rage qui bout jusqu’au plus profond de moi-même, quand je vois d’ici ces chiens impassibles, et comme sûrs d’avoir raison de nous, grimacer hors de la portée de nos fusils. Mais il est toujours temps de faire une folie, que diable ! et attendre qu’elle soit indispensable est relativement un acte de raison. Est-ce que nos ennemis ne nous donnent pas l’exemple de la prudence ? Et croyez-vous que ce soit pour leur plaisir qu’ils se morfondent en bas, pendant que nous nous morfondons en haut ? »

Cependant, les jours succédaient aux jours, et rien ne sortait de ces discussions vaines. De temps en temps, grâce à l’adresse du gambusino et au courage du jeune Tresillian, on descendait quelques sentinelles, en se risquant, aux heures propices, dans le ravin ; mais les victimes étaient bientôt remplacées par de nouveaux guerriers.

À quelques exceptions près, c’était avec une habileté consommée que le Zopilote, instruit par l’expérience, plaçait ses postes hors de la portée des armes, pendant les nuits claires, et les rapprochait du ravin pendant les nuits obscures, et en nombre tel qu’il n’y avait pas lieu de songer à les attaquer et à s’en défaire, avant que le camp ne fût mis en éveil.

Dans l’inaction presque forcée à laquelle les contraignait la surveillance des sauvages, activée encore par les quelques pertes qu’on leur avait fait subir, les Mexicains avaient trouvé une distraction plutôt qu’une occupation. Ils travaillaient sous les ordres de l’ingénieur, à la fabrication de deux canons, oui, deux canons !  !

Dans une excursion précédente, l’ingénieur avait découvert presque à fleur du sol, des filons de minerai assez riches et d’une extraction facile.

Sous une direction habile, il n’est pas difficile de faire, d’ouvriers mineurs, des fondeurs et même des forgerons ; et avec l’espoir de la réussite, chacun se donnait de tout cœur à la besogne.

Ce n’était, à vrai dire, qu’une diversion fournie par l’ingénieur à ces braves gens, pour tromper les heures indéfiniment prolongées de ce siège mortel, mais pour quelques-uns d’entre eux c’était la certitude du salut.

Les plus enthousiastes assistaient déjà, en idée, à une scène qui devait amener peut-être la fin de leurs tribulations. Tout en coulant la fonte et en s’escrimant du marteau, ils entendaient par avance la détonation de leurs deux pièces d’artillerie, suivaient les projectiles dans leur trajectoire rapide, les voyaient tomber à l’improviste dans le camp des Indiens, l’enflammer en éclatant, et la mitraille répandre partout la terreur et la mort.

Pedro Vicente, tout en admettant que le canon pouvait, à une heure donnée, jouer un rôle efficace, n’avait pas tardé à réduire à de plus justes proportions les services de la future artillerie.

Seulement, ce n’était pas une raison pour renoncer à l’entreprise commencée, et il était permis de compter que quelques coups de mitraille bien placés, mettraient évidemment un bon nombre de Coyoteros dans l’impossibilité d’assister au dénouement, heureux pour eux seuls, sur lequel ils comptaient.

Sur ces entrefaites, un matin, des cris de joie partis de la plaine éveillèrent tout à coup, et d’une façon qui n’avait rien d’agréable, l’attention des assiégés.

Une troupe d’indiens, forte de plus de deux cents hommes, venait se joindre au contingent du Zopilote.

Elle se composait, d’une part, des guerriers chargés, au début, de conduire et de mettre en sûreté dans leurs villages les chevaux et le bétail pris aux Mexicains, et de l’autre, d’hommes amenés par eux à titres de renforts.

Le Zopilote ne pouvait avoir la moindre intention de lever le siège, puisqu’il faisait venir cette bande nouvelle.

Ce fut, dans tout le campement, un sujet de conversation générale.

Sous la tente de don Estevan, où se réunissaient Tresillian, l’ingénieur, le majordome et Pedro Vicente, l’arrivée de ces renforts assombrit tous les visages, et l’avenir, jus-