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chose d’extraordinaire se passait au sommet de la Montagne-Perdue.

Assurément, les assiégés auraient eu tort de compter sur un secours prochain ; mais ils ne voulaient pas non plus en désespérer. En attendant, puisque l’ennemi ne pouvait pénétrer chez eux qu’en tentant l’assaut par le ravin, n’était-il pas possible, au moins, de surprendre ses sentinelles et d’essayer quelques coups d’audace propres à jeter, parmi les sauvages, une terreur superstitieuse ?

Don Estevan, qui redoutait, pour le moral de ses hommes, les longueurs d’un siège dont il était impossible de prévoir le terme, pensait, avec raison sans doute, qu’il serait bon que les défenseurs d’une position fortifiée pussent ne pas laisser aux assiégeants un instant de répit.

Mais il y a loin de la théorie à la pratique, des projets à leur exécution. En prétendant décimer l’ennemi, ne se ferait-on pas décimer soi-même, et sans le moindre résultat ?

Henry Tresillian, jeune et ardent, aurait voulu quand même des sorties multipliées, espérant, par une série de coups heureux, fatiguer et déconcerter l’ennemi.

Mais, toujours à ces propositions, Pedro Vicente hochait la tète :

« Vous oubliez, répétait-il, qu’une fois en plaine, de nuit comme de jour, nous sommes à la merci de ces sauvages, qu’il y a ici des femmes et des enfants qui ne pourraient nous suivre et que vous ne voudriez pas abandonner… (assurément, Henry ne voulait abandonner personne). Vous oubliez enfin, pardonnez-moi cette redite, que les Coyoteros sont montés, et, qu’en supposant une réussite partielle de notre attaque, nos adversaires seront toujours assez nombreux pour se placer entre ceux de nos hommes qui auront opéré la sortie et ceux qui seront demeurés à la garde du ravin. Alors, coupés en deux et cernés, réduits à l’impossibilité de nous rejoindre, en serons-nous plus avancés ? »

Don Estevan, prudent par nature, comme tous les gens vraiment braves, reconnaissait la sagesse de ces paroles.

« Vous avez malheureusement raison, señor Vicente. »

Puis, reprenant, après un instant de silence :

« Tout ce que j’ai de plus cher au monde est ici, dit-il, sur cet inaccessible plateau où nous sommes relativement heureux d’avoir, grâce à vous, trouvé un refuge ; mais, bien que la pensée de voir tomber ma femme et ma fille entre les mains des Apaches me cause parfois d’horribles appréhensions, je ne saurais oublier non plus ces hommes dévoués qui nous ont suivis, et qui, au lieu de trouver avec nous la fortune, sont, dès maintenant, exposés à la plus affreuse des morts. Ma conscience me crie que c’est nous qui les avons conduits ici et que c’est à nous de les en faire sortir. Ne pensez-vous pas ainsi, Tresillian ?

— Certes, fit l’Anglais ; de même que vous, señor, je considère cela comme notre strict devoir : leur salut avant, et non après le nôtre, si c’est possible. »

Puis, en véritable Anglais, songeant encore, malgré lui, à l’excellente affaire qui paraissait manquée, et désignant avec un geste de dédain le camp des Coyoteros :

« Entre nous et la fortune assurée, dit-il, il n’y a que ces vermines d’Apaches. En gros ou en détail, il faut qu’ils disparaissent.il ne sera pas dit, señor Vicente, que les filons que vous avez découverts seront autant de richesses mortes, parce qu’il aura plu au hasard de susciter contre nous ces loups de la Sonora. »

Rien ne pouvait mieux exciter le gambusino que de telles paroles.

L’évocation de sa fortune évanouie le mettait hors de lui-même, et, menaçant de sa carabine le camp des Apaches :

« Ah ! s’écria-t-il, vingt chances seulement sur cent, de passer sur le ventre de ces sauvages et de les exterminer, et Pedro Vicente serait le premier à demander le signal de la bataille. Mais je n’en vois pas une seule, señor, et ce n’est vraiment pas assez. Il faut autre chose, il nous faut trouver une idée qui nous sauve ou nous donne des chances de salut. Cherchons-la, par le ciel ! cherchons-la !

— Ce n’est point ici, dans cette prison, s’écria Henry, qu’une chance heureuse se présentera ; mais, une fois en bas, qui sait ? La fortune est souvent pour les audacieux…

— Quelque respect que j’aie pour votre courage, señor, interrompit le gambusino, vous me permettrez de vous répéter que les sorties contre un ennemi plus fort, plus nombreux qu’on ne l’est, n’ont de chance de réussite qu’autant qu’elles peuvent être appuyées de secours arrivant juste à point de l’extérieur, ou tout au moins qu’autant qu’elles pourraient être, pour l’assiégeant, des sur-