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CHAPITRE XIV
LESQUELS ?


Le lendemain, de bon matin, on se remit en marche pour terminer l’exploration commencée. Il s’agissait de s’assurer, d’une part, que le plateau était désormais libre de tous hôtes dangereux, et de l’autre de se renseigner sur toutes les ressources qu’il pourrait offrir dans l’éventualité d’un long séjour forcé.

En tête de la troupe marchaient, comme toujours, don Estevan, Henry Tresillian et le gambusino.

Celui-ci, insouciant en apparence, mais, par le fait, attentif aux moindres choses, s’efforçait non de rassurer don Estevan, inaccessible à la crainte, mais de lui communiquer quelque espoir.

Avec sa perspicacité accoutumée, il avait remarqué que le chef reconnu des mineurs, en ce moment soldats assiégés, jetait de temps en temps, sur la tente qui abritait la senora Villanneva et sa fille des regards désolés.

Ne redoutant rien pour lui-même, prêt à tout qu’il était, Estevan de Villanneva perdait sa sérénité habituelle quand il pensait à sa femme et à leur fille Gertrudès, et au sort terrible qui les attendait peut-être dans un avenir plus ou moins prochain, si l’on ne parvenait à faire lâcher prise aux assiégeants.

Le gambusino s’efforçait de le rassurer, en lui faisant envisager les ressources qui leur permettraient de résister de longs jours.

La Montagne-Perdue ne manquait encore ni de gibier, ni de végétaux, depuis le fameux mezcal des Indiens, dont Pedro connaissait les qualités, jusqu’à diverses sortes de mezquitès dont les longues gousses pendantes renferment des graines faciles à broyer, et dont on peut faire une sorte de pain ou de gâteau agréable et nourrissant ; sans oublier les noix de pin-pignon qui ne sont pas à dédaigner, une fois grillées.

En fait de fruits, le plateau de la montagne offrait certaines variétés de cactus, parmi lesquels le pitahaya, dont le fruit piriforme rappelle un peu la saveur des poires d’Europe.

Henry Tresillian en cueillit quelques-uns au passage, heureux de faire une surprise à la senora Villanneva et à sa charmante fille.

Don Estevan, que ses préoccupations n’abandonnaient pas, était d’accord avec le gambusino pour reconnaître la possibilité de soutenir un long siège ; mais l’inaction, voilà ce qu’il redoutait pour ses hommes.

Il est bien rare que des travailleurs habitués à une vie active, et renfermés tout à coup dans un étroit espace, avec impossibilité d’en sortir, ne finissent pas par s’affoler. Cette crainte poursuivait don Estevan qui, tout en regagnant le bivouac, exprimait ses appréhensions.

« En résumé, dit-il, il n’est pas sain de se nourrir d’illusions, et tout d’abord j’écarte la probabilité et même la possibilité d’un secours venu de l’extérieur, le seul cependant qui pourrait être efficace. Dans l’alternative où nous sommes, un secours ne pourrait nous être amené que par un hasard, et le hasard ne doit pas entrer en ligne de compte dans nos prévisions. N’est-ce pas votre avis, Pedro Vicente ? Nous avons commis la plus grave des fautes quand, surpris par les Apaches, nous n’avons pas pris, avant tout, le soin d’expédier quelques-uns de nos hommes à Arispe avec mission de faire savoir aux autorités dans quelle situation nous allions probablement nous trouver.

— Señor, reprit vivement lç gambusino, ne me parlez pas de cette faute ; nous n’étions pas enfermés depuis deux heures sur ce plateau, qu’elle m’est apparue avec toutes ses