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quelque sentier autre que le ravin par où nous pourrions leur brûler la politesse, à la faveur d’une nuit sombre, et c’est pour cela qu’ils nous épient, depuis quelques jours, et nous observent avec une attention aussi soutenue. Mais en voici deux qui, dans l’ardeur de la conversation, me paraissent oublier les règles de la prudence. Ce serait peut-être le moment, don Henry, d’essayer la portée de nos armes.

— À vous celui de droite, ajouta-t-il ; moi, je prends celui de gauche, et tâchons de bien faire. »

Bientôt une double détonation retentit au milieu du silence, et deux Indiens roulèrent à bas de leurs chevaux. Puis on entendit le galop des montures effrayées, suivi des mêmes clameurs qui avaient accompagné la mort du chef :

« Hurlez ! dit philosophiquement le gambusino, les glapissements des coyotes ne réveillent pas les morts. »

Pedro Vicenle avait dit vrai : les reconnaissances poussées par les sauvages, autour de la montagne, avaient pour principale raison de s’assurer qu’il n’existait aucun moyen de fuite pour les assiégés, et qu’il était, par conséquent, tout à fait inutile pour eux de disperser tout autour, et de fatiguer les forces dont ils disposaient.

On en eut, du reste, bientôt la preuve. Les Indiens, après avoir enlevé les cadavres des deux sauvages tués, revinrent à leur camp, et ne posèrent plus de sentinelles, sinon à l’entrée du ravin.

Le lendemain, dès le matin, après un déjeuner composé de jambon d’ours et de quelques conserves, don Estevan jugea bon d’explorer le plateau, pour s’assurer s’il n’y avait plus de grisons, et si une alerte comme la précédente n’était plus à craindre.

Sur les ordres de l’ingénieur en chef, les Mexicains pratiquèrent des sentiers à travers les taillis épais, à grands coups de hache et de machete, et passèrent dans des endroits que n’avait jamais foulés le pied de l’homme.

À leur approche, bien des oiseaux inconnus s’envolèrent effrayés ; des bêtes extraordinaires sortirent de ces lianes et de ces branches enroulées les unes dans les autres. Les herbes et les mousses cachaient principalement des reptiles, des armadillos, des lézards énormes, des grenouilles à cornes très bizarres, classées, par les zoologistes, sous le nom d’agama cornuta, et bon nombre de serpents à sonnettes, ainsi désignés à cause du bruit que font leurs écailles en s’entre-choquant, lorsqu’ils déroulent leurs anneaux.

Ils se glissaient sous les feuilles mortes et tentaient vainement de fuir inaperçus. Leur bruissement sonore les trahissait, et les mineurs les tuaient sans pitié. Pedro poussait même l’ironie jusqu’à les lancer, une fois morts, faute de pouvoir les leur expédier tout en vie, dans la direction du camp des Indiens, pour leur rappeler, disait-il, leur ancien Chef et par là même sa fin inopinée.

Les quadrupèdes n’étaient pas rares non plus ; de temps en temps, les chasseurs abattaient, pour les besoins de la communauté, soit une antilope, soit un carnero, sans compter le gibier plus humble, comme les lièvres et les lapins.

De grands loups et leurs lâches cousins, les coyotes, peuplaient aussi ces fourrés, jusqu’alors à peine entrevus par quelque batteur d’estrade égaré dans le llano. On ne les épargna point, et les vautours eurent, pour quelque temps, leur pâture assurée.

Mais on eut beau chercher partout, aucun ours, noir ou gris, ne sortit de sa tanière.

Les deux grisons qui avaient assailli les mineurs, étaient-ils donc les seuls de leur espèce sur le plateau de la Montagne-Perdue ?

Cette battue dura une journée entière, entremêlée de péripéties diverses ; on s’apprêtait même à regagner le bivouac, avant la tombée de la nuit, lorsqu’un double appel du gambusino et de son compagnon Henry Tresillian, qui avait constamment tenu la tête des chasseurs, annonça que quelque chose de grave se passait.

on se hâta pour les rejoindre, et l’on aperçut dans une sorte de clairière, debout sur leurs pattes de derrière et gesticulant de façon bizarre, un nouveau couple de grisons.

Ils se tenaient à l’entrée d’une tanière dont on apercevait l’ouverture sombre dans une masse pierreuse. Les détonations successives des fusils et des carabines les avait alarmés ; cependant ils ne témoignaient d’aucune intention agressive et ne s’éloignaient guère de l’ouverture de leur antre, prêts à s’y réfugier à la première alerte.

C’est du moins ce que crut comprendre Pedro Vicente, qui pria don Estevan de défendre de tirer sur eux.

Les armes déjà abaissées se relevèrent, et