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choire armée de dents très fortes ; mais sa puissance réside surtout dans les griffes formidables dont ses pattes sont armées, griffes tranchantes comme des rasoirs, et qui, chez l’animal adulte, atteignent souvent jusqu’à sept pouces de longueur.

Le tigre des Grandes-Indes et le lion du Sahara sont moins terribles dans leurs jungles que l’ursus ferox dans les contrées qu’il affectionne.

Ces animaux redoutent si peu leurs ennemis, qu’ils attaquent sans hésiter des vingtaines d’hommes ou de chevaux, et qu’ils viennent souvent jeter le trouble dans un camp très fortifié et y faire impunément les plus grands ravages.

Il n’était pas étonnant que les mineurs fussent en émoi.

Chose surprenante, les ours ne faisaient pas mine de pénétrer dans le bivouac et d’assaillir les habitants. Ils semblaient se plaire à contempler le désordre causé par leur présence, et vouloir amuser aussi leurs adversaires.

Le mâle, debout sur ses pattes de derrière, agitait ses pattes de devant dans tous les sens ; la femelle se levait et se baissait tour à tour comme pour jongler avec lui. Ce spectacle eût été divertissant, si la tragédie n’eût pas dû suivre la comédie de très près.

L’ours grison agit souvent de ruse envers ses ennemis. Ce n’est qu’après avoir rôdé autour d’eux pendant assez longtemps, que sa colère prend le dessus ; mais alors, malheur à ceux qui se trouvent à la portée de ses pattes. On en a vu assommer un cheval ou un bœuf d’un seul coup.

La senora Villanneva s’était réfugiée dans sa tente. Elle appelait sa fille à grands cris, mais Gertrudès restait bravement à l’entrée, auprès de son père et de Robert Tresillian ; et tandis que bien des personnes plus âgées qu’elle fuyaient éperdues et tremblantes, c’est à peine si elle paraissait plus pâle que de coutume.

Henry Tresillian se précipita devant elle pour la défendre.

« Cachez-vous, Gertrudès, je vous en supplie, » lui dit-il.

La jeune fille lui montra, pour toute réponse, un poignard corse qui ne la quittait pas.

Henry répondit à cette démonstration en forçant Gertrudès à rentrer dans la tente, et en lui faisant promettre de n’en pas sortir.

Pendant ce temps, quelques hommes avaient pu prendre leurs fusils.

« Ne tirez pas ! s’écria le gambusino en les voyant s’apprêter à faire feu, ils peuvent… »

Il était trop tard ! Les dernières paroles de Pedro furent noyées dans le bruit d’une détonation.

L’ours mâle, celui qui était debout, retomba sur ses quatre pattes. Il était atteint, mais peu profondément blessé. Il tourna la tête avec un mouvement d’impatience et se mit à lécher sa blessure. Après s’être ainsi pansé, il reprit sa position première en dodelinant de la tête et en poussant des grognements mélangés de cris de douleur et de rage.

Bien loin de montrer, lui et sa femelle, la moindre velléité de retraite, ils quittèrent subitement et simultanément leur place, et se jetèrent brusquement au milieu du bivouac.

Cette attaque fut tellement prompte, qu’un pauvre enfant qui, dans l’excès de sa frayeur, était tombé de son arbre, n’eut pas la possibilité de s’échapper. La femelle lui asséna un coup de patte qui l’étendit raide mort. Cependant, elle n’eut pas le temps de faire d’autres victimes. Les mineurs, n’écoutant que leur fureur, l’entourèrent de si près que les canons de leurs fusils étaient perdus dans son épaisse fourrure.

Huit ou dix coups de feu résonnèrent en même temps, et la femelle tomba morte.

L’un des ennemis était vaincu, mais le plus redoutable restait encore à combattre.

Il alla droit à la tente de la senora Villanneva, que défendaient don Estevan,. Robert Tresillian, son fils Henry et le gambusino. Malgré leur petit nombre, c’étaient d’intrépides champions, et ils avaient, indépendamment de leurs fusils, des couteaux et des pistolets.

Ils attendirent l’ennemi de pied ferme.

Pedro s’écria vivement :

« Laissez-moi tirer le premier, senores, et, quand l’ours se retournera pour lécher sa blessure, visez-le tous derrière l’épaule gauche. »

Le gambusino mit un genou en terre et épaula son fusil. Il n’était que temps. L’énorme bête se trouvait à moins de dix pieds de la tente, quand le coup de feu de Pedro partit. Comme il l’avait prévu, l’ours blessé se détourna de même que la première fois, pour passer sa langue sur sa plaie, et ce mouvement laissa à découvert l’épaule gauche.