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CHAPITRE XII
UN ENNEMI INATTENDU


Henry Tresillian poussa une exclamation de bonheur en apercevant, aux premiers rayons du soleil, le fidèle animal dans une attitude qui semblait dire : « Vous voyez, maître, que je ne vous oublie pas. Je ne vous ai pas abandonné ! »

C’était un grand soulagement pour le jeune Anglais de voir que son cheval avait su trouver sa subsistance dans ces plaines désertes ; car, en admettant que le sort le délivrât jamais, lui et les siens, il lui restait une certaine chance de le retrouver. Toutefois cette joie n’était pas sans un mélange d’inquiétude. Il s’attendait à tout moment à voir surgir une bande de cavaliers rouges à la poursuite de Crusader.

Celui-ci était sans doute en proie aux mêmes craintes que son maître, car il paraissait inquiet, agité, et regardait tour à tour, d’un air méfiant, la montagne et les chariots auxquels les Indiens avaient attaché leurs mustangs, ces mêmes mustangs avec lesquels il avait refusé tout commerce. Peut-être se demandait-il aussi ce qu’étaient devenus ses compagnons, les chevaux de la caravane ? Toujours est-il que son instinct l’avertissait de ne pas s’approcher du corral.

Toute la rive occidentale du lac était bordée de roseaux et de buissons touffus qui cachaient Crusader à la vue des Peaux-Rouges, tant que ceux-ci restaient dans le corral ; mais, dès qu’ils sortiraient pour baigner leurs mustangs, ils le découvriraient infailliblement. Qu’arriverait-il alors ? Crusader, qui avait eu le dessus une première fois, serait-il aussi heureux une seconde ? Malgré sa vitesse, ne serait-il pas dépassé, entouré, pris dans les spirales d’un lasso ?

Henry Tresillian fut brusquement interrompu dans ces réflexions par une rumeur confuse venant de l’extrémité du bivouac, du côté même de la tente des femmes. On entendait des voix d’hommes parlant tous à la fois, et, en outre, des cris de femmes et d’enfants ; cela annonçait un événement extraordinaire.

Que se passait-il donc ?

La pensée d’Henry et des sentinelles fut que les Indiens avaient réussi à escalader la montagne d’un autre côté. Eux seuls pouvaient causer un tel effarement. Ces cris respiraient l’épouvante la plus accentuée.

Au milieu de ce tumulte, Henry crut distinguer la voix même de Gertrudès l’appelant à son aide.

« Henry ! Henry !… »

Pedro et lui s’élancèrent à cet appel.

Un peu avant d’arriver à l'Ojo de Arjua, le gambusino aperçut les enfants des mineurs qui grimpaient après les arbres aussi haut que possible, et reconnut bientôt la cause de toute cette gymnastique.

« Ce sont des ours grisons, » cria-t-il à Henry.

Il ne se trompait pas.

Au fond de la, clairière, deux gigantesques ours se tenaient, l’un sur quatre pattes et l’autre sur deux. C’étaient bien des grisons, les plus redoutables de toutes les bêtes fauves de l’Amérique.

L’ours grison, qu’il ne faut pas confondre avec l’ursus americanus, ou ours noir, lequel est plus friand du miel des abeilles que de la chair de l’homme, est le grizzly-bear ou ursus ferox des naturalistes.

Lorsqu’il atteint tout son développement, sa taille, depuis le bout du museau jusqu’à l’extrémité de la queue, est d’environ trois mètres ; son poil est d’un blanc jaunâtre, tirant parfois sur le brun. Il a le museau allongé, la tête large de près de seize pouces, et la mâ-