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Pedro, le majordome et les ingénieurs et contremaîtres, tenaient une conversation animée. De quoi parlaient-ils ? Mais de quoi des assiégés peuvent-ils parler, sinon de leur situation ? Don Estevan exposait ses espérances à ses amis. Selon lui, le revanche de Pedro, qui aurait pu leur être plus nuisible qu’utile, parce qu’elle avait avivé la haine des Indiens, si un assaut eût été possible, mettait les meilleures chances de leur côté. Sans doute, le lieutenant du Serpent-à-Sonnettes, El Zopilote, c’est-à-dire le Vautour-Noir, qui lui succédait, était tout aussi capable que son prédécesseur, et tout aussi hostile aux blancs, — don Estevan l’ayant déjà rencontré dans ses campagnes militaires, pouvait en parler sciemment, — mais il ne pouvait avoir sur ses hommes le même ascendant que El Cascabel, qui les avait si souvent conduits à la victoire et au pillage.

Après les fatigues et les émotions de la veille, le repos était nécessaire pour tout le monde, et la discussion ne se prolongea pas outre mesure.

Bientôt, après l’orage, chacun oublia, dans un sommeil paisible, les réalités tristes du jour.

Les sentinelles veillaient seules comme la nuit précédente, les moins expérimentées montant la garde pendant les premières heures. Couvertes de sérapés en étoffe imperméable, elles se promenaient à grands pas devant le parapet de pierre sous une pluie battante. Chaque éclair jaunâtre leur montrait comme en plein jour le ravin conduisant à la plaine métamorphosé en rapide, et les arbres du plateau tout ruisselants d’eau.

Au pied de la Montagne-Perdue, les sentinelles rouges étaient à leur poste, elles aussi, mais plus exposées par les furies de l’orage au danger des éboulements ; elles enserraient moins étroitement la montagne, — trois ou quatre d’entre elles avaient été écrasées.

Vers le matin seulement, l’orage diminua d’intensité, les coups de tonnerre devinrent moins fréquents et la pluie cessa de tomber.

Quoique passer la nuit dehors par un temps pareil n’eût rien de bien agréable, Henry Tresillian avait insisté pour monter la garde à la même heure que la veille. Ce n’était cependant pas son tour, mais il avait cru voir dans le llano un point noir qui ressemblait vaguement à un cheval, et qui n’avait fait que paraître et disparaître au moment de l’orage. Serait-ce par hasard Crusader ? Henry voulait éclaircir ses doutes. Pendant ces longues heures de veille, il tint constamment son télescope braqué sur l’endroit où il avait cru apercevoir son cheval bien-aimé. Ce ne fut qu’au dernier éclair qu’il reconnut qu’il ne s’était pas trompé. Crusader n’était ni prisonnier ni perdu. Il avait su revenir jusqu’au lac, et il se tenait là, immobile, hors de la portée des Indiens.

Henry n’avait fait qu’entrevoir Crusader pendant la durée de l’éclair ; mais, dans le calme et le silence qui suivirent la tempête, il entendit à plusieurs reprises un hennissement qu’il connaissait bien, et quand l’aurore se leva, il vit sur la rive du lac opposée au camp indien son beau Crusader qui, la tête tournée vers le ravin, semblait saluer son maître d’un bonjour matinal.