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« La sagesse de nos pères a dit : » Tourne ta langue dans ta bouche trois fois avant de parler ! » s’écria-t-il d’une profonde voix de basse qui ressemblait à un mugissement. Les Pieds-Noirs sont une grande nation. Leur proposition est la bienvenue. Mais je demande qu’avant de l’accueillir, nous ayons le temps de réfléchir comme les hommes sages doivent le faire, jusqu’au coucher du soleil.

Plusieurs minutes s’étant écoulées sans que personne élevât la moindre objection à la proposition de l’Ours-qui-se-tient-debout, il ne resta plus qu’à la mettre en pratique.

Le sachem frappa dans ses mains. Aussitôt les guerriers s’enveloppèrent de leurs couvertures et se dispersèrent en silence.

Mac Diarmid, qui savait combien il lui était indispensable de ne pas heurter leurs préjugés, les imita et se dirigea vers sa hutte.

Quant à Evan Roy, qui le suivait à quelque distance, il allait faire comme lui, quand il vit tout, à coup un attroupement qui attira son attention.

Sur la lisière du camp, une troupe de Sioux entourait quatre cavaliers qu’Evan Roy, en regardant de plus près, reconnut pour des blancs.

Cela ne le surprit pas outre mesure, car il savait fort bien que les Indiens, quoique classés par le gouvernement des États-Unis parmi les tribus hostiles, recevaient souvent la visite de marchands venus des possessions britanniques et avec lesquels ils étaient en fort bons termes.

Mais, en avançant vers les étrangers, il constata que ce n’étaient pas des marchands.

L’un d’eux portait l’habit ecclésiastique ; deux autres paraissaient être des hommes de la plaine ; le quatrième, — Evan Roy ne pouvait en croire ses yeux, — était en uniforme de sous-lieutenant de dragons !

Les Indiens qui se pressaient autour de ces nouveaux venus ne semblaient rien moins que bien disposés. La vue d’un officier de l’armée fédérale avait évidemment le don de les exaspérer. Sans doute le conseil qui venait d’être tenu, en réveillant leur rancunes, contribuait à accentuer cette hostilité.

Aussi le clergyman parut-il constater avec un véritable plaisir l’approche du Highlander.

« Monsieur, lui cria-t-il, je vous souhaite le bonjour. Je suis le Révérend Smithfield de Cheycam… On m’avait assuré que les tribus les plus sauvages me feraient bon accueil. Pourtant me voici dans votre camp, et personne ne nous souhaite la bienvenue.

— Vous auriez dû annoncer votre arrivée, répliqua assez froidement Evan Roy. Vous savez bien qu’au désert, chacun est regardé comme un ennemi jusqu’à ce qu’il ait montré patte blanche… Quels sont ces messieurs qui vous accompagnent ?

— Vous le voyez, un officier de l’armée fédérale qui désire s’entretenir avec les chefs des Dakotas, et nos deux guides… Nous vous serons véritablement reconnaissants de nous assister, monsieur.

— Apportez-vous des présents pour les chefs et les principaux de la tribu ? demanda Evan sans se compromettre.

— Assurément, nous les avons là, sur ce mulet.

— Vous connaissez la langue de la tribu ?

— Quelques mots à peine. Nous aurons sur ce point à nous référer à notre interprète, M. Fardeau, que voici, l’un de nos guides. »

Le Highlander jeta un regard assez défiant sur le Beau Bill, dont la figure ne prévenait guère en sa faveur, il faut en convenir, et les Indiens se mirent aussitôt à ricaner en échangeant leurs impressions.

Evan saisissait quelques mots de ce qu’ils disaient, aussi bien que les deux hommes de la plaine qui entendaient fort bien la langue sioux. Quant au prétendu clergyman, il examinait les physionomies qui l’entouraient et se trouvait de moins en moins rassuré.

« Ces vauriens-là vont nous attaquer dans un instant, monsieur Migur, murmura Charley du Colorado. Il s’agit de nous réfugier dans ce grand teepee sacré, où nous sommes flambés !… Pas une minute à perdre, voyez !… Ces squaws vont nous mettre en pièces… »

En effet, toutes les femmes du camp sortaient de leurs huttes et accouraient vers les étrangers en poussant des cris.

À cette vue, Meagher et les deux guides, donnant de l’éperon à leurs chevaux, se lancèrent ventre à terre vers le grand teepee.

Quant à Frank Armstrong, il s’avança au pas vers le Highlander et lui dit simplement :

« Vous êtes Evan Roy ; M. Mac Diarmid doit être ici. Conduisez-moi à lui ; c’est mon meilleur ami. »

Roy rougit de surprise, mais il ne songea même pas à nier, et, écartant les femmes qui menaçaient d’assaillir l’étranger, il prit son cheval par la bride.

« Qui que vous soyez, venez, dit-il. Il me