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ceux-ci étaient de force à se faufiler comme les reptiles entre les mezquites, les cactus et les pierres du ravin. L’ennemi pouvait donc, à tout bien examiner, apparaître à l’improviste sur le plateau, Il fallait, par conséquent, être prêt à le bien recevoir ; et quoique Pedro affirmât qu’il n’y avait rien à craindre, que le plateau était inabordable excepté par le ravin si bien gardé, les blancs jugèrent bon de se mettre en mesure de repousser toute tentative.

Ils jetèrent un fragment de roc par-dessus le parapet. L’énorme bloc roula le long du ravin de la montagne en entraînant avec lui mille autres pierres, il broya tout sur son passage, mais ne rencontra aucun être vivant, et l’écho ne rapporta du fond du ravin que le bruit sonore de sa chute.

Sur l’ordre d’Estevan, les artilleurs lancèrent bientôt un autre boulet de pierre, puis successivement un troisième et un quatrième et d’autres encore, à des intervalles assez rapprochés pour s’assurer que le seul chemin par lequel on pouvait arriver au plateau était toujours libre.

Aucun être n’eût pu affronter ces avalanches dans l’étroit et unique ravin. Ces précautions prises, don Estevan renvoya une partie de ses hommes au bivouac, pour ne pas les fatiguer en vain, et lui-même se retira dans sa tente après avoir rassuré les femmes et les avoir mises au courant de la situation. Les factions se succédèrent ainsi jusqu’au matin.

Quand les premières lueurs du crépuscule permirent de distinguer quelque chose, les blancs ne virent au fond du ravin que des amas de roches mélangées de nombreux débris. Cette canonnade d’un nouveau genre avait évidemment suffi à tenir l’ennemi en respect toute la nuit.

Plus loin, dans la plaine, les sentinelles des Coyoteros veillaient toujours, semblables à des statues de bronze, mais il n’y avait personne dans le corral. El Cascabel était bien mort. Ses guerriers l’avaient porté dans la tente des Figures-Pâles. L’entrée en était tenue toute grande ouverte ; le corps du Serpent-à-Sonnettes, la face tournée vers le soleil levant, était exposé sur une grande couverture. Une petite place de la largeur d’une balle, un cercle rouge plus foncé au centre qu’aux bords, visible à l’aide du télescope, montrait que le gambusino l’avait atteint en plein cœur.

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Quand le soleil parut à l’horizon, les Coyoteros reprirent leur chant de mort avec plus de suite et plus de méthode que pendant la nuit.

Ils s’assemblèrent au camp ; sous la direction de l’homme médecin, leur maître de cérémonies, se prirent par la main et exécutèrent autour de la tente où El Cascabel dormait de son dernier sommeil, une sorte de danse mystique, à pas lents et mesurés, qu’ils accompagnaient décris et d’incantations. Ils appelaient cela la danse des morts.

Quand le dernier acte de cette interminable cérémonie fut accompli, ils se tournèrent tous vers le sommet de la montagne, et, brandissant leurs armes, ils en menacèrent leurs invisibles ennemis ; leurs imprécations s’entendaient distinctement sur le plateau.

Si vaines que fussent ces démonstrations, elles produisirent une impression profonde sur ceux à qui elles s’adressaient, car elles leur prouvaient, que s’ils quittaient leur montagne, ils étaient infailliblement perdus.