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Et, sans plus de réflexion, il épaula vivement sa carabine, ajusta le chef des Coyoteros, d’une main qui ne tremblait pas, malgré l’émotion du tireur, et lâcha la détente.

Un éclair et une détonation partirent du haut de la montagne ; un cri de douleur et de rage prouva que Pedro avait atteint son but. Il ne s’était pas trompé sur la portée exceptionnelle de sa carabine.

Les assiégés purent voir encore El Cascabel faire un bond en arrière, puis tomber tout d’un bloc dans les bras de son compagnon interdit, mais ce fut tout. La lune disparut sous un nouveau nuage, aussi soudainement qu’elle s’était montrée, et l’obscurité redevint complète.

Don Estevan et ses hommes, réveillés en sursaut par le coup de feu du gambusino, accoururent en toute hâte. Ils craignaient déjà une surprise.

« Croyez-vous sérieusement que El Cascabel soit mort ? demanda don Estevan quand il fut au courant de la situation.

— C’est au moins fort probable, répondit Pedro avec calme.

— Il est certain que nous l’avons vu tomber, ajouta Henry Tresillian. Il a dû être tué net.

— Si sa vilaine vie n’est pas terminée, continua Pedro, c’est qu’on peut vivre avec une balle dans la poitrine, car je me trompe bien, ou je l’ai frappé au beau milieu de cette hideuse tête de mort dont la blancheur faisait un admirable point de mire pour mes yeux. À vrai dire, je n’espérais guère prendre une si belle ni surtout une si prompte revanche.

— Il n’est pas douteux, selon vous, que ce soit bien El Cascabel qui ait reçu votre coup de feu ? lui dit don Estevan.

— Si ce n’eût pas été lui, dit le gambusino, je n’aurais pas tiré. Mon coup était assez hasardé, vu la distance, mais j’ai eu confiance dans ma carabine.

— Il est évident que vous l’avez atteint, reprit don Estevan ; Henry et vous ne pouvez vous être trompés tous les deux. Mais qui sait cependant si vous l’avez tué ? Il peut n’être que blessé grièvement.

— Votre Seigneurie veut-elle parier avec moi ? demanda Pedro. Je suis prêt à mettre cent pour un qu’à l’heure présente le Serpent-à-Sonnettes a fait son dernier pas, ou plutôt, ce qui convient mieux à un saltimbanque comme lui, sa dernière pirouette ! » Avant même que ses compagnons eussent eu le temps de lui répondre, le gambusino ajouta précipitamment :

« Ne pariez pas, Votre Seigneurie, il est trop tard. Pedro Vicente n’est pas homme à parier à coup sûr. Les entendez-vous ? »

Des cris de fureur, des clameurs funèbres s’élevaient dans la direction du camp. Évidemment les Peaux-Rouges pleuraient la mort de leur chef. Leur chant passait de plaintes inarticulées, de gémissements lamentables à de véritables hurlements. On eût dit que les coyotes faisaient leur partie dans ce sauvage concert. Par moments, des notes plus aiguës, des éclats de voix féroces interrompaient les pleurs. C’était le cri de guerre des Apaches, jurant de rendre œil pour œil, dent pour dent, au meurtrier de El Cascabel.

Ce vacarme infernal, répété et doublé par les échos, dura sans discontinuer pendant plus d’une heure. Il fut remplacé brusquement par un silence d’assez mauvais augure.

Les mineurs se demandèrent si, ne prenant conseil que de leur rage aveugle, les Indiens, n’allaient pas, coûte que coûte, tenter un assaut. La nuit, plus sombre que jamais, pouvait paraître propice à leurs desseins.

Don Estevan, résumant sa pensée, prit à part son associé, son fils et don Pedro.

« Que El Cascabel soit mort ou seulement blessé, c’est-à-dire hors d’état de commander ses hommes, le coup de feu de Pedro, qui aurait pu être une imprudence, est un coup de maître. Il nous donne des chances inespérées de salut. Un chef comme celui-là ne se remplace pas instantanément ; quoi que puissent faire nos ennemis, c’est une force de moins contre nous ; l’ordre et la confiance vont leur manquer ; la rage ne peut suppléer à l’expérience, mais elle peut conseiller des attaques désordonnées ; plus que jamais il faut donc veiller. — Henry, faites tripler les postes qui gardent le parapet, et recommandez à tous d’être partout sur le qui-vive. »

Après un événement d’aussi grande importance, tous les blancs étaient debout ; ils allaient et venaient du bivouac établi auprès de la source, au poste auprès du ravin, et discutaient à voix basse les probabilités d’une attaque. Ils écoutaient de toutes leurs oreilles, et bien qu’ils n’entendissent rien de suspect, cela ne les tranquillisait point. Ils savaient trop que l’Indien peut courir, marcher, grimper, sans plus faire de bruit qu’un chat, et