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Mais justement les réflexions du Coyotero lui montraient la réussite beaucoup moins certaine qu’il ne l’avait cru tout d’abord. N’était-il pas présumable que les mineurs avaient eu la précaution d’envoyer des courriers dans leur pays, prévenir qu’ils étaient en danger d’être attaqués, et n’avaient d’autre parti à prendre, en attendant des secours, que de soutenir un siège sur la Montagne-Perdue. D’après tous leurs préparatifs, ils avaient dû apercevoir les Indiens de très loin ; ils avaient eu le temps de penser à tout et dans ce cas des renforts mexicains pouvaient arriver à la rescousse bien avant que les Peaux-Rouges eussent eu raison des blancs. Si, par impossible, les blancs n’avaient pas eu ce soin, le siège durerait longtemps, cela ne faisait pas l’ombre d’un doute pour El Cascabel.

À en juger par le peu de provisions qui restait au camp, les mineurs devaient avoir monté sur le plateau des vivres en abondance, sans compter que le voisinage de la source les assurait de ne pas manquer d’eau, et que le gibier qui était sur la montagne les aiderait encore à tenir bon. Toute la question était de savoir s’ils avaient envoyé un courrier.

Nous savons de reste que, par un oubli inconcevable, et tout à l’émoi de la surprise, don Estevan, le gambusino, aucun des chefs de la caravane n’y avait songé. Mais Cascabel l’ignorait.

Tandis que les deux sauvages discutaient ainsi, les mineurs qui montaient la garde au-dessus de leurs têtes se relayaient. Don Estevan ayant appris par expérience que les Peaux-Rouges n’attaquent jamais leurs ennemis avant la moitié de la nuit, avait réservé ses meilleurs hommes pour ce moment-là. Ceux qui arrivèrent étaient sous les ordres de Pedro Vicente et de son fidèle Achate, Henry Tresillian.

Il y avait peu de chances pour que les Indiens vinssent les assaillir dès les premières nuits, et suivant le gambusino, qui ne soupçonnait pas que El Cascabel leur avait prêté l’idée qu’ils auraient dû avoir de détacher des courriers sur Arispe, il n’y en avait pas beaucoup plus pour les nuits suivantes.

« Pourquoi faire, disait Pedro, ce n’est pas leur intérêt. Dans leur idée, ils nous tiennent comme dans une souricière, et ils ne sont pas gens à se jeter dans la mer pour prendre leur poisson, quand ils savent qu’il ne pourra pas éviter leurs filets. »

Pedro avait fait pendant plusieurs mois le métier de plongeur. C’est sans doute un souvenir de ce temps qui lui fournissait cette comparaison maritime.

« Ah ! continua-t-il en mettant la main sur une des grosses pierres accumulées devant lui, je voudrais bien les voir monter à l’assaut, le Serpent-à-Sonnettes en avant ! Cela me donnerait une belle occasion de prendre ma revanche. Malheureusement, il ne le fera pas. Malraya ! Il n’est guère probable maintenant que je le tienne en mon pouvoir !

— Voyons donc ce qu’ils font à présent ! interrompit Henry.

— Regardons, mais ne nous montrons pas. Si la lune se levait, ils tireraient sur nous, et nous ne sommes pas assez sûrs que leurs mousquets ne nous atteindraient pas pour nous y exposer sans utilité. »

Les trois hommes se couchèrent à plat ventre et avancèrent seulement leur tête au bord du rocher. On ne distinguait rien, pas le moindre objet ni dans la plaine ni sur le lac, tant les ténèbres étaient épaisses. Pas un son, pas un mouvement dans le corral, quoique bien certainement les sauvages veillassent sur leur butin.

Le gambusino tira de sa poche un étui à cigarettes, en prit une et l’alluma. Ses compagnons en firent autant, avec cette seule différence que le cigare du jeune Anglais venait en droite ligne de la Havane,

Peu d’instants après, Pedro, levant par hasard les yeux, aperçut quelque chose qui lui fit jeter sa cigarette en disant à demi-voix :

« La lune ! »

Ce n’était encore qu’un mince point blond dans le ciel noir, mais l’astre n’allait pas tarder à se lever.

Tout à coup la lune sortit des nuages et brilla de tout son éclat. Ce fut instantané, et aussitôt, comme dans un décor de théâtre, tout changea d’aspect, et le llano devint visible à perte de vue. Le camp, le lac, les sentinelles, et jusqu’au moindre objet, apparurent clairement aux mineurs.

Pedro, lui, ne fut frappé que d’une seule chose : deux hommes se glissaient du côté de l’entrée du ravin, au-dessous de lui. Une tête de mort bien reconnaissable ressortait, dans sa blancheur, sur le fond de bronze de la poitrine d’un de ces sauvages.

« Quelle chance ! El Cascabel ! » murmura le gambusino emporté par la joie.