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couvaient encore, et s’installèrent, en un mot, comme des gens décidés à ne pas lever le siège de sitôt.

Ce jour-là, ils eurent du bœuf pour leur souper. C’était un régal qu’ils n’avaient pas souvent l’occasion de s’offrir. Les subsistances sont rares au pays des Apaches, et les famines fréquentes ; aussi, devant un pareil festin, ils s’en donnèrent à cœur joie. À voir leur gloutonnerie, on eût dit qu’ils voulaient compenser les jeûnes passés et futurs.

En fouillant dans les chariots, ils découvrirent un petit tonnelet de chingarita, sorte d’alcool fabriqué avec ce même mezcal dont ils sont si friands. Les Indiens ignorent l’art de la distillation, mais ils aiment tant le chingarita, qu’ils furent grandement surpris de voir que les Visages-Pâles leur en avaient laissé.

Le tonneau d’alcool fut roulé au milieu du corral et mis en perce, et, toute la soirée, il fut entouré de buveurs qui exécutaient des danses sauvages, et vidaient continuellement leurs calebasses en poussant de tels cris et en faisant de telles contorsions, que le camp, habité le matin par des êtres humains, semblait maintenant occupé par une horde de fous endiablés. C’était une véritable fantasmagorie. Dans l’obscurité, la ressemblance devint encore plus frappante : ces fantômes cuivrés, sautant à la lueur des branches résineuses du mezquité et du pin-pignon, ressemblaient à des échappés de l’enfer.


CHAPITRE X
LA REVANCHE DE PEDRO


Il était minuit. Un gros nuage précurseur d’orage, venant des côtes de la Californie, cachait la lune sous ses voiles sombres. Il faisait nuit noire sur la montagne et dans la plaine.

Les sauvages reposaient, ou du moins ils avaient terminé leur bruyante orgie, car on n’entendait plus leurs voix discordantes. Le silence régnait partout, brisé seulement de temps à autre par le bruissement d’un oiseau traversant l’espace, l’ébrouement ou les coups de pied impatients des chevaux des mineurs, inquiets de leur nouveau voisinage, le cri, moitié hurlement, moitié aboiement, des coyotes rôdant à la recherche d’une proie, et le sifflement des oiseaux de nuit, effleurant la surface du lac, en quête de quelque bonne aubaine.

Cependant, tout le monde ne dormait pas chez les Peaux-Rouges ni chez les blancs.

Dix mineurs veillaient auprès de leur parapet ; et une ligne de sentinelles rouges gardait l’espace au fond duquel était l’entrée du ravin. Près d’eux, mais plus près de la montagne, deux hommes marchaient en causant. L’un était El Cascabel, l’autre son premier lieutenant, El Zopilote, tous deux très occupés à reconnaître le terrain, pour s’assurer que les assiégés ne pouvaient opérer une descente dans l’obscurité et venir les surprendre.

El Cascabel ayant longuement réfléchi, n’était pas sans inquiétude. Non qu’il eût aucun regret de s’être engagé dans cette entreprise : le butin qu’il comptait trouver sur le Nauchampa-Tepetl valait bien la peine d’en faire le siège. L’examen du corral lui avait donné à penser que la caravane devait se composer d’une centaine d’hommes environ, avec leurs femmes et leurs enfants, parmi lesquels de grands personnages, comme le prouvait la litera. Quelles richesses incalculables il devait y avoir là haut ! et quelles représailles ! La mort pour les hommes, la captivité pour les femmes. C’était de quoi satisfaire El Cascabel !