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rent dans le sol, ceux qui portaient des fusils les déposèrent sur le gazon, et ils se débarrassèrent, eux et leurs chevaux, de tout ce qui les gênait. Quand ils se remirent en selle, ils n’avaient plus qu’une corde enroulée autour de leur bras gauche pour leur servir de lasso. Dans la crainte d’une surprise, la moitié des Indiens demeuraient en sentinelle auprès des armes momentanément abandonnées.

Les autres resserrèrent leurs lignes, mais, dans l’excès de leur frayeur, les animaux des mineurs se précipitèrent tous à la fois vers le même point. C’était une débandade complète, une seconde estampeda, et l’écho répéta, comme un roulement de tonnerre, le bruit de ces centaines de sabots. Les montures des Peaux-Rouges prirent peur à leur tour et se cabrèrent ; grâce à cette circonstance favorable, un certain nombre de bêtes poursuivies, Crusader en tête, passa comme un ouragan devant les Indiens et s’enfuit affolé dans le llano.

Les Coyoteros avaient distingué déjà ce magnifique cheval dont la robe d’ébène ressortait au milieu des autres. Ils lui jetèrent au passage plusieurs lassos, mais les lanières, trop précipitamment dirigées, glissèrent sur les flancs luisants de Crusader qui, voyant le champ libre, s’élança dans la prairie, en hennissant, comme pour célébrer son triomphe. Des cris de désappointement accueillirent sa fuite.

Néanmoins, les manœuvres des Indiens n’avaient avorté qu’en partie. Ils finirent par maîtriser leurs mustangs et prirent sans peine les animaux enserrés dans leurs rangs. Ceci fait, ils poursuivirent les autres, et comme ils avaient affaire à des bêtes encore fatiguées, il ne fut pas long pour eux de les atteindre.

Bientôt tous les chevaux furent rejoints et ramenés au camp prisonniers, à l’exception d’un seul : Crusader. Les sauvages lui donnèrent longtemps la chasse, mais le cheval de Henry, la tête haute, la crinière et la queue au vent, volait plutôt qu’il ne galopait. Chacun de ses bonds augmentait la distance qui le séparait de ses ennemis, et son maître, qui ne le perdait pas de vue, commença à espérer qu’il échapperait aux Peaux-Rouges.

La partie n’était pourtant pas encore gagnée pour le noble animal : les Coyoteros tenaient à ne pas laisser échapper ce beau cheval arabe qui leur donnait des preuves si évidentes de sa valeur. Ils poussèrent leurs mustangs par tous les moyens possibles, les excitant à coups de pied ou de lasso ; ce fut en vain : Crusader ne pouvait pas être distancé, et il ne fut bientôt plus visible que comme un point noir dans le lointain.

Les sauvages se lassèrent l’un après l’autre de cette poursuite stérile ; El Cascabel l’abandonna le dernier, mais il finit, lui aussi, par tourner bride d’un air de dépit.

Henry Tresillian, aussi heureux que fier de ce résultat inespéré, poussa un hourra d’allégresse.

« Que je suis donc content ! dit-il à Pedro. Voilà Crusader hors d’atteinte. Je n’en demande pas davantage, quoiqu’il advienne ! Il était assez superbe dans cette chasse enragée, mon beau Crusader ! À lui seul il a plus d’esprit que tous ceux qui le poursuivaient !

— C’est incroyable, répondit le gambusino, qui partageait l’admiration du jeune Anglais. Je n’ai de ma vie rien vu de semblable… Quel cheval, santissima ! Ce n’est pas un cheval, c’est un oiseau, c’est un démon !… »

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Les Indiens, tenant en laisse les animaux captifs, reprirent possession de leurs armes pour envahir le camp ! Quel désappointement ! Il était vide de ses biens comme de ses habitants, saccagé, ravagé, pillé, vidé de fond en comble ! Des caisses entr’ouvertes, des ballots défaits, des creux dans les chariots leur prouvèrent qu’on avait emporté tout ce qu’il y avait de précieux. Il ne restait plus que ce qui ne pouvait être pour eux que des objets de rebut, car ils ne se souciaient pas de ceux des engins ou des machines de mineurs qu’il avait fallu leur laisser.

Ils regrettèrent plus que jamais leurs délais inopportuns, et jurèrent de se venger de leurs déboires. Leur vengeance menaçait de tarder un certain temps, car la manière dont les blancs avaient effectué leur retraite, annonçait qu’ils l’avaient faite après mûre délibération, et qu’ils se proposaient de tenir bon dans leur forteresse inexpugnable. Mais les trésors accumulés là-haut n’en sortiraient pas, et, tôt ou tard, ils tomberaient aux mains des assiégeants.

Ce fut avec cette persuasion consolante que les Peaux-Rouges s’établirent dans le camp. Ils attachèrent les chevaux qu’ils avaient pris avec les leurs ; ils ranimèrent les feux qui