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forme n’apparaissait nulle part. Des militaires eussent fait meilleure garde. De fait, les alentours semblaient déserts, et les chevaux, les mulets et les bestiaux erraient à l’aventure, comme des animaux abandonnés.

Cette dernière circonstance eût pu paraître extraordinaire à d’autres qu’à des Coyoteros, qui savaient parfaitement que leur approche épouvante les animaux des blancs, au point de leur faire rompre parfois tous leurs liens. Pourquoi se seraient-ils inquiétés d’un fait si connu ? Ils n’en furent que plus convaincus qu’ils ne se trompaient pas, en croyant le camp occupé par de simples particuliers, car, dans le cas contraire, les bêtes eussent été plus disciplinées, et les soldats déjà sous les armes.

L’investissement étant complet, il s’agissait d’assaillir l’ennemi.

À un signal donné, les Peaux-Rouges reprirent leur marche. Leurs rangs s’épaississaient à mesure qu’ils rétrécissaient leur cercle, mais ils n’allaient pas plus vite qu’auparavant, afin d’enclore tous les animaux dans leurs lignes. Autrement, ils eussent risqué de les laisser s’échapper, et c’était une trop belle proie pour en courir la chance.

Quant à essayer de surprendre le camp en plein jour, il n’y fallait pas compter. Les Visages-Pâles avaient dû les voir depuis longtemps et les attendaient évidemment de pied ferme. On n’en apercevait pas vestige, mais quoi d’étonnant à cela ? Ils se dissimulaient derrière les chariots, et les allées et venues continuelles des animaux empêchaient de les distinguer !

Cette attitude des blancs dénotait l’intention de se défendre. Raison de plus pour n’avancer que très prudemment. Peut-être même vaudrait-il mieux abandonner l’idée d’une attaque immédiate ! Dans l’obscurité, dans le silence de la nuit, il serait plus facile de vaincre ces ennemis dont on ignorait la force.

Les Indiens avancèrent encore un peu, tout en ayant soin de se tenir hors de la portée des fusils ; mais, à leur grand étonnement, ils eurent beau regarder partout, entre les chariots, sous les roues, dans les interstices des selles et des ballots que les mineurs avaient entassés pour fortifier leur corral, ils n’aperçurent rien qui ressemblât à un homme. C’était inconcevable. Avaient-ils donc affaire à des ennemis invisibles ?

Dans leur stupéfaction, ils n’étaient pas loin de croire que ce mystère touchait à la sorcellerie.

Le Nauchampa-Tepetl figurait dans plus d’une légende indienne. Trouver au pied d’une montagne hantée par des puissances surnaturelles un camp pourvu de toutes sortes de choses qui ne pouvaient appartenir qu’à des blancs, depuis les chariots et la grande tente carrée jusqu’aux animaux qui annoncent la présence des hommes, et ne voir dans ce camp absolument personne, ni hommes, ni femmes, ni enfants, c’était un fait extraordinaire, inquiétant même. Jamais les Indiens n’avaient vu chose pareille.

Un moment, ils semblèrent prêts à battre en retraite devant ce silence. Mais leur chef ne partagea pas longtemps leur frayeur. Il n’était pas superstitieux, lui, et, après réflexion, il se dit que si l’on ne voyait pas les blancs, c’est qu’ils s’étaient cachés dans quelque embuscade dont il fallait se défier.

El Cascabel rallia ses guerriers, leur adressa quelques mots d’encouragement, leur ordonna de faire encore quelques pas et de tirer sur le camp. Ils obéirent. Ils visaient si adroitement que les balles de leurs mousquets, pesant à peine une once, faisaient des marques visibles dans les chariots et surtout dans la tente, qu’ils croyaient être le refuge principal des Visages-Pâles, mais rien ne bougea dans le corral. Pas un coup de fusil ! Pas un cri ! Pas un gémissement ! Pas le moindre bruit ne leur répondit.

Leur fusillade produisait autant d’effets que s’ils l’eussent adressée à la façade de la montagne, qui répercutait longuement chaque détonation comme pour les railler.