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C’était le Grand-Serpent, le sachem respecté de la tribu.

« Salut au chef qui vient de la terre de la Mère Blanche[1] ! dit-il en s’adressant à Mac Diarmid et en le prenant par la main. Il est le bienvenu, et nous sommes ses frères. » Puis, l’introduisant dans le cercle formé par la foule et qui s’écarta avec respect, il ajouta en présentant son hôte aux délégués : « Amis, le Chef au bracelet d’or, — c’est ainsi que les Indiens désignaient Mac Diarmid, — nous apporte les paroles de paix et d’affection de la Mère Blanche. Tous, tant que nous sommes, écoutons-le. »

Mac Diarmid se plaça debout, devant le brasier, la face tournée vers les délégués, et, après être resté un instant silencieux et comme absorbé dans ses pensées, conformément à l’étiquette indienne, il prit la parole d’une voix grave et bien timbrée.

« Hommes de la nation des Sioux, dit-il, ce n’est pas un étranger qui vient parmi vous, c’est un ami, c’est un frère, c’est un fils de la race puissante qui jadis avait pour terrain de chasse tout le pays au nord du Meschacébé… Je suis, vous le savez, le chef des Pieds-Noirs, et les Pieds-Noirs ont de tout temps été les ennemis jurés des soldats à la face pâle. Ma tribu, pour leur échapper, s’est réfugiée chez la Mère Blanche, et voici ce qu’elle m’envoie dire à ses frères : Hommes de la nation des Sioux, voulez-vous savoir pourquoi les soldats du Grand-Père-des-Menteurs ont toujours été plus forts que nous et pourquoi ils ont réussi à nous déposséder de notre héritage ?… C’est parce que nous n’avons pas su nous unir et nous organiser contre eux ; parce que nous leur avons résisté en détail, au lieu de leur offrir le front d’une coalition puissante !… »

Ici les délégués des tribus, qui écoutaient avec une profonde attention, firent entendre un murmure d’assentiment.

« … Ce que nos pères n’ont pas su faire, reprit le Chef au bracelet d’or, pourquoi ne l’essayerions-nous pas ? Nous sommes nombreux et braves. Si nous savons nous unir, nous pouvons former une ligue si puissante que le Grand-Père-des-Menteurs, avec tous ses soldats, sera obligé de compter avec nous ! Celui qui vous parle a passé la moitié de sa vie chez les blancs et sait tout ce qu’ils ont à enseigner. Il connaît la manœuvre des grands fusils qui éclatent deux fois[2] et il apprendra aux Sioux, comme aux Pieds-Noirs, à s’en servir… Que nous sachions seulement nous organiser, attendre le moment favorable, et, avec le pays de la Mère Blanche pour base d’opérations, nous pouvons un jour battre le Grand-Père-des-Menteurs, l’expulser avec tous ses soldats de nos terrains de chasse, tout au moins l’obliger à respecter nos droits, à nous rendre une partie de nos terres, pour que le buffle y prospère de nouveau et que nos enfants y deviennent aussi nombreux que les étoiles du firmament. Telle est la proposition que les Pieds-Noirs apportent par ma bouche à leurs frères les Dakotas et à toute la nation des Sioux. J’ai dit. »

À peine le Chef au bracelet d’or eut-il cessé de parler, qu’un murmure d’approbation passa sur l’assemblée.

Mais personne n’éleva la voix pour exprimer une opinion avant que le sachem eût donné la sienne. C’était le privilège de son âge et de sa dignité de répondre le premier.

C’est ce qu’il fit seulement après un long-intervalle de silence.

« Le Chef au bracelet d’or, dit-il, parle aussi bien que si quatre-vingts hivers avaient neigé sur sa tête. Le Chef au bracelet d’or est un grand chef. Les Pieds-Noirs sont ses frères. L’alliance des Sioux et des Pieds-Noirs est écrite dans le livre de la sagesse. Que cette alliance soit conclue et que le Grand-Père-des-Menteurs apprenne à ses dépens quelle est notre force. J’ai dit. »

Le mouvement de faveur qui avait accueilli les paroles de Mac Diarmid s’accentua manifestement dans l’auditoire après cette déclaration du sachem.

Il y eut encore un intervalle de silence. Puis un homme d’une taille herculéenne, et aux bras velus, se leva.

C’était l’Ours-qui-se-tient-debout, le chef du parti de guerre dans le camp des Dakotas.

Sans doute il n’avait pu voir sans jalousie l’ascendant que le Chef au bracelet d’or paraissait déjà prendre dans l’assemblée, car il voulut empêcher qu’une décision immédiate fût prise, et, dans ce but, il eut recours à un artifice dont il connaissait toute l’efficacité.

  1. Les Indiens désignent ainsi le Canada, en raison du manteau de neige qui couvre le pays pendant l’hiver, et en souvenir de l’affection qu’ils portaient jadis aux Français, anciens possesseurs de la contrée.
  2. C’est le nom que les Indiens donnent au canon moderne en raison de la détonation de l’obus qui suit celle de la pièce.