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dès qu’il put se faire entendre. « La bande de El Cascabel ! » ajouta-t-il plus bas en s’approchant.

Mais les mauvaises nouvelles s’entendent toujours.

Les assistants se regardèrent avec stupeur. Ces paroles n’avaient pas besoin de commentaire.

En effet, point de merci à espérer des parents et des amis des victimes mêmes du capitaine Perez ! Qu’importait aux Coyoteros que les habitants d’Arispe et les mineurs eux-mêmes eussent tous profondément blâmé cet acte de barbarie de leurs compatriotes ? Depuis cet attentat, les Visages-Pâles, quels qu’ils fussent, étaient des ennemis jurés qu’il fallait exterminer sans pitié.

En dépit de sa fermeté, la figure de don Estevan s’assombrit.

« Alors, dit-il, vous êtes sûr, don Pedro, que nous allons nous trouver en présence de la bande de El Cascabel ?

— J’en suis sûr, répondit celui-ci. J’ai vu de trop près ce bandit, pour ne pas le reconnaître entre mille, et le télescope de votre Seigneurie m’a permis de distinguer jusqu’à son totem, ce joli emblème qu’il porte sur sa poitrine et dont il a orné la mienne. »

De même que les sacristains de certaines églises flamandes tirent les rideaux qui voilent un tableau précieux pour le faire admirer aux voyageurs, ainsi Pedro ouvrit sa chemise, et fit voir à tous ses compagnons l’œuvre d’art qu’il avait déjà montré à Henry Tresillian.

Chacun avait ouï parler de ce signe caractéristique du chef des Coyoteros, et personne ne mit plus en doute l’approche de El Cascabel et des siens.

Cependant, quand les mineurs furent revenus d’un premier moment de trouble bien naturel, don Estevan leur fit envisager leur situation avec le calme qui ne l’abandonnait jamais. Le chef comprenait qu’il fallait, avant tout, proscrire toute panique et prémunir contre tout sentiment de ce genre des hommes qui s’en remettaient à son expérience. Aussi feignit-il une assurance parfaite, sans dissimuler, cependant, les difficultés et les longueurs possibles, probables même, d’un siège qui commençait.

À vrai dire, la citadelle naturelle qu’ils occupaient était si forte, qu’il était à croire et presque à craindre que El Cascabel, après s’être rendu compte de la situation des mineurs sur la montagne, ne tenterait même pas d’attaquer de vive force. Si, cependant, il s’en avisait, on le recevrait d’une bonne façon.

Les mineurs étaient bien armés. Ils n’avaient point à redouter la pénurie des munitions et des vivres, pourvu qu’on les ménageât et que l’on n’en usât qu’à bon escient ; et l’eau de la source était là, pour dissiper toute crainte au sujet de la soif.

Sans se bercer d’illusions, il était à espérer que, malgré l’infériorité numérique, il pourrait se présenter une circonstance favorable qui permettrait aux assiégés de surprendre les sauvages, ou plutôt de leur échapper.

L’espérance est si fortement enracinée dans le cœur de l’homme, même aux heures les plus critiques, qu’au début de cet investissement la plupart des mineurs entrevoyaient déjà la délivrance. Chacun d’eux, sans se dissimuler les dangers de la situation, avait la résolution de les braver et l’espérance de les vaincre.

Pour observer la marche de leurs ennemis sans être vus, les défenseurs du ravin se dissimulèrent derrière leur parapet. Ils avaient sous les yeux une portion du llano, de la forme d’un triangle, leur vue étant circonscrite de chaque côté par les rochers perpendiculaires qui encadraient le ravin ; mais le camp presque entier était compris dans cet espace.

Il s’écoula encore près d’une heure avant l’arrivée des Indiens.

Les chevaux et les mulets abandonnés à eux-mêmes au pied de la Montagne-Perdue ne faisaient pas mine de s’écarter. Ignorants de l’avenir qui les attendait, ils paissaient paisiblement dans la prairie ou se baignaient dans le ruisseau. Ils jouissaient, comme d’une bonne aubaine, d’un repos qu’ils avaient bien mérité après plusieurs longs jours de fatigue.

Un peu plus loin, un troupeau d’antilopes venues dans l’intention de se désaltérer et de se baigner, mais effrayées de voir des chariots à une place où il n’y avait rien la veille, se tenaient immobiles, prêtes à battre en retraite au plus léger bruit.

Les vautours n’avaient pas eu les mêmes scrupules, au contraire ; les grandes formes blanches des chariots exerçaient sur eux une sorte d’attraction, et ces oiseaux au lugubre plumage s’étaient abattus en foule dans l’enceinte du corral. Les uns se disputaient les