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Anglais aimait son cheval, et quels soins il lui prodiguait ; elle-même avait pris en affection ce beau Crusader qui venait si gracieusement manger du sucre dans sa main, et qui caracolait aussi fièrement dans les llanos sauvages que dans les rues d’Arispe, et elle aurait volontiers donné tout ce qu’elle possédait pour l’empêcher de tomber dans les mains des Peaux-Rouges.

Pedro et son compagnon arrivèrent en quelques minutes à cet endroit du plateau qui devait leur servir d’observatoire. Ils purent voir aussitôt que les Indiens n’étaient plus qu’à une très courte distance.

« Tirez vos deux coups de fusil, señorito, dit le gambusino, en ajustant le télescope à sa vue. Ayez soin de laisser un intervalle après chaque coup, afin qu’il n’y ait pas d’erreur possible. »

L’écho avait à peine cessé de répercuter la détonation du fusil d’Henry, que Pedro s’écriait d’un ton significatif :

« Caramba ! je ne me trompais pas ! ce sont des Apaches !… Et pis encore, des Coyoteros, les plus sanguinaires, les plus redoutables de tous les Indiens ! Vite, muchacho, continua-t-il, sans quitter sa longue-vue, prenez mes pistolets et tirez deux autres coups. »

Deux nouvelles détonations résonnèrent l’une après l’autre.

Les sauvages s’arrêtèrent, levèrent les yeux vers les tireurs et parurent se livrer à un conciliabule. On pouvait distinguer leurs mouvements à l’œil nu, mais, grâce à sa lunette d’approche, Pedro découvrit un détail qui lui fit pousser un cri de colère.

« Per todos demonios, esta El Casbabel !  » s’écria-t-il. (Par tous les diables, c’est le Serpent-à-Sonnettes.)

« El Cascabel ! répéta Henry, moins intrigué par ce nom bizarre que par l’air du gambusino. Le connaissez-vous, Pedro ? »

Il regarda de nouveau.

« Oui, continua-t-il du même ton, c’est bien lui ! Je vois distinctement sur sa poitrine cette hideuse tête de mort qui lui a servi de modèle pour celle dont il m’a gratifié. C’est cette bande de Peaux-Rouges, commandée par El Cascabel, qui m’a traité comme je vous disais ce matin, don Henrique. Malheur à nous si nous tombions dans ses mains. Nous serions voués à une mort épouvantable ! El Cascabel nous assiégera sans se lasser, dût-il essayer de nous prendre par la famine.

— Mais si nous nous rendions tout de suite dit ironiquement Henry, il serait peut-être plus clément.

— Clément, lui !… Gardez-vous d’une pareille idée ! vous n’y pensez pas sérieusement, señorito ? Avez-vous donc oublié le massacre de Gil Perez ?

— Nullement.

— Eh bien, ces Coyoteros traîtreusement tués, il faut bien l’avouer, par le capitaine Gil Perez, faisaient partie de la troupe même que nous avons devant nous. El Cascabel s’en souvient, allez ; si cela ne dépend que de lui, nous payerons pour les coupables ! »

Ceci dit, le gambusino garda le silence. Il passa le télescope à Henry et demeura, pendant quelque temps, absorbé dans ses pensées, méditant les moyens possibles de se tirer d’une position si difficile, que beaucoup d’autres l’eussent considérée peut-être comme désespérée. Mais si la rage était connue de Pedro Vicente, il ne connaissait pas le découragement.

Les Indiens conduits par El Cascabel reprenaient leur marche au nord-est ; l’autre gros de sauvages tournait la montagne au nord-ouest.

« Si mes évaluations ne me trompent pas, dit Henry Tresillian, ces Apaches sont au nombre de cinq cents au moins.

— C’est à peu près à ce nombre que je les estime, répondit le gambusino. Que faire contre un pareil nombre ?

— Attendre la nuit, les surprendre et passer, dit Henry avec tout le feu de la jeunesse.

— Ce serait folie de l’essayer, señor, dit Pedro Vicente ; d’abord parce que ces Indiens ne se laissent pas facilement surprendre ; ensuite parce que, ayant à défendre des femmes et des enfants, notre infériorité numérique serait trop évidente pour nous permettre de tenter la bataille.

— Nous conseilleriez-vous donc la fuite ? dit Henry.

— Pourquoi non, si elle était possible, répondit le gambusino. On ne se déshonore pas en fuyant devant un ennemi si incontestablement supérieur. Malheureusement la fuite nous est aussi impossible que la bataille.

— Impossible, et pourquoi ?

— Eh ! señor, répliqua Pedro avec un mouvement d’humeur, oubliez-vous donc que nous avons donné la liberté à nos montures, et que l’on ne se sauve point à pied dans le dé-