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C’était si brusque, si imprévu, qu’on pouvait à peine comprendre ce que cela voulait dire ; mais, quand on eut compris, on s’organisa du mieux qu’on put, et l’on se précipita en foule vers le ravin qui conduisait au sommet de la montagne.

Bientôt toute cette pente escarpée, depuis le bas jusqu’au haut, fut couverte d’êtres humains. On eût cru voir des fourmis sur une fourmilière.

Avec leur galanterie habituelle, les mineurs s’inquiétèrent, avant tout, de mettre en lieu sûr les femmes et les enfants. Ils prirent des précautions infinies pour les faire parvenir sans encombre sur le plateau ; dans leur précipitation, il y eut sans doute plus d’une chute sur ce chemin rocailleux, plus d’un genou et plus d’une main écorchés et contusionnés ; mais les blessés ne s’en apercevaient même pas, tant ils avaient bâte d’être hors de l’atteinte des Indiens.

Tous étant arrivés sans accident sérieux, les hommes retournèrent promptement au corral. Il leur en coûtait trop d’abandonner tout ce qu’ils possédaient à d’exécrables ennemis, pour ne pas tenter de sauver le plus de choses possible.

Au premier moment, ils avaient songé surtout à leur préservation personnelle, et s’étaient un peu enfuis, comme des incendiés ; mais un des hommes envoyés en vedette au tournant de la montagne, étant revenu annoncer qu’on ne voyait pas encore les Peaux-Rouges et qu’on avait du temps devant soi, les mineurs entrevirent la possibilité de conserver au moins une partie de leurs richesses.

« D’abord les munitions et les provisions de bouche, cria Pedro Vicente que don Estevan avait investi de tous ses pouvoirs, C’est indispensable en cas de siège. Nous prendrons ensuite tout ce que nous pourrons, les outils, les engins de travail, les cordages, les toiles, mais il faut commencer par la poudre et les vivres. »

On lui obéit scrupuleusement. Peu après, le ravin présentait un aspect plus original encore : un essaim d’individus lourdement chargés, allait et venait incessamment de la plaine au sommet de la montagne. Plus laborieux que des abeilles, ils montaient, descendaient et remontaient sans relâche, rapportant à chaque voyage de nouveaux trésors. Une chaîne se fit sur l’ordre de l’ingénieur. Ce fut un déménagement en règle sous l’apparence d’un pillage organisé. Quelques-uns des hommes restés au camp tiraient les effets dès chariots, faisaient choix des objets les plus précieux et les mettaient en paquets pour les rendre plus faciles à transporter. D’autres ouvraient sommairement les ballots et les caisses ; dans leur empressement à opérer ce triage, ils coupaient les courroies, déchiraient les enveloppes et éparpillaient le contenu sur le sol. Si bien qu’en très peu de temps il ne restait plus guère dans le corral que les outils, les machines et les meubles trop lourds pour être montés à bras d’homme par ce chemin peu commode.

Si El Cascabel et les siens avaient pu prévoir que les propriétaires du camp le dévaliseraient ainsi, ils auraient préféré crever leurs mustangs pour arriver plus tôt. Ils avançaient pourtant assez rapidement, car les vedettes des mineurs ne tardèrent par à revenir signaler leur approche.

On réunit encore quelques derniers objets, parmi lesquels les deux petites tentes rondes, et on se disposa à entreprendre l’ascension finale.

Plusieurs hommes s’attardèrent dans la prairie. Il n’y avait pas moyen d’emmener les chevaux. Comment eussent-ils pu marcher dans un sentier praticable seulement pour des chèvres, des antilopes ou des animaux pourvus de griffes ? Et leurs maîtres ne s’en séparaient que bien à contre-cœur. Dans quelles mains allaient tomber ces malheureux chevaux ? Cette pensée augmentait le chagrin de les perdre.

Il n’était pas jusqu’aux conducteurs et aux muletiers qui n’eussent de l’affection pour leurs bêtes. Le chef des arriéros considérait l’atajo entier comme ses enfants, et il avait une tendresse toute particulière pour la mule aux clochettes. Que de lieues n’avait-il pas fait, en écoutant ce joyeux tintement qui annonce aux autres mules qu’elles peuvent s’engager sans crainte sur les traces de leur conducteur ! N’entendrait-il plus jamais cette musique harmonieuse ?

Les Mexicains n’avaient pas de temps à perdre. Il fallait brusquer les adieux. On eût dit qu’ils s’adressaient à des créatures raisonnables ; tous se servaient de termes affectueux : « Caballo, caballito mio !Mula, mulita querida !Pobrecita, Dios le guarda !  » Et ils y joignaient mille imprécations contre ceux qui allaient s’emparer de leurs bêtes favorites.