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tôt possible. Dans une heure, il pourrait être trop tard.

— Expliquez-vous donc, Pedro, je ne vous comprends pas : lever le camp ? Et pour aller où ?

— Là-haut, dit le guide en désignant la Montagne-Perdue.

— Mais il nous sera impossible d’y faire monter nos animaux, et nous n’aurons jamais le temps d’y transporter tous nos bagages.

— C’est à craindre, mais nous pourrons encore nous estimer heureux de sauver nos personnes, qui là-haut trouveront un refuge.

— Alors votre avis serait de tout abandonner.

— Oui, señor ; tout, s’il le faut, et le moins possible, si l’on a le temps. Je regrette de ne pouvoir dire mieux, mais il n’y a pas d’autre alternative, et nous n’avons pas à hésiter, si nous tenons à notre peau.

— Comment ! s’écria Robert Tresillian, il nous faudrait nous résigner à perdre tout ce i[ne nous possédons : nos bagages, nos outils et jusqu’à nos bêtes ? Ce serait une terrible calamité ! Tous nos gens sont courageux et bien armés ; nous pourrions certainement nous défendre.

— Impossible, don Robert, impossible, quand même ils seraient encore plus courageux et mieux armés. D’après ce que j’ai pu voir, les Peaux-Rouges sont au moins dix contre un des nôtres, et nous aurions certainement le dessous. D’ailleurs, même si nous arrivions à leur résister de jour, la nuit ils trouveraient moyen de nous incendier en nous jetant des brandons. Tout est sec et s’enflammerait comme une allumette à la moindre étincelle. Nous avons des femmes, des enfants à protéger ; là-haut seulement ils peuvent être, ils seront en sûreté.

— Mais, insinua Robert Tresillian, qui nous dit que ces Indiens nous sont hostiles ? Peut-être est-ce une bande d’Opatas ?

— Non, s’écria le gambusino impatienté, ce sont des bravos, et je suis presque sûr que ce sont des Apaches.

— Des Apaches ! répétèrent ceux qui les entouraient, d’un ton qui prouvait la terreur que ces redoutables sauvages inspiraient à tous les habitants de la Sonora.

— Ce ne sont ni des Opatas ni des mansos d’aucune tribu, continua Pedro. Ils viennent du côté du pays des Apaches, ils n’ont ni bagages, ni femmes, ni enfants, et je gagerais qu’ils sont armés jusqu’aux dents en vue d’une expédition guerrière.

— En ce cas, dit don Estevan, les sourcils froncés et l’air sombre, nous n’avons pas à attendre d’eux de bons procédés.

— Ni de bons traitements, ajouta le gambusino. Nous n’aurions même pas le droit d’en exiger de la pitié, après la manière dont le capitaine Gil Perez et ses compagnons les ont traités. »

Aucun des mineurs n’ignorait le fait auquel Pedro faisait allusion. Des soldats mexicains avaient tout récemment massacré une bande d’Apaches abusés par de fausses paroles de paix. Ç’avait été un vrai carnage, une boucherie accomplie cruellement, de sang-froid, comme il y en a plus d’une, malheureusement, dans les annales des guerres de frontière.

« J’ai la certitude, reprit le gambusino d’un ton persuasif, que nous sommes menacés d’une attaque d’Apaches plus nombreux que nous. Ce serait folie de les attendre. Montons sur le plateau, portons-y tout ce qui sera transportable, abandonnons tout le reste.

— Y serons-nous en sûreté ? demanda Tresillian.

— Comme dans une place forte, répondit Pedro. Aucun fort, construit de main d’homme, ne vaudrait la Montagne-Perdue. Vingt soldats y tiendraient en échec des centaines et même des milliers d’hommes. Caramba ! nous pouvons rendre grâce à Dieu de rencontrer un refuge aussi proche et aussi sûr.

— Il n’y à pas à hésiter, dit don Estevan, après avoir échangé quelques paroles avec son associé. Nous perdrons tout ce que nous possédons, mais nous n’avons pas d’autre parti à prendre. Commandez, señor Yicente, nous vous obéirons en tous points.

— Je n’ai qu’un ordre à donner, s’écria le gambusino. C’est : « Arriba ! » (Tout le monde là-haut !) Faisons la part du diable ; mais ne laissons au pied de la montagne que ce que nous ne pourrons transporter ! »

À ces paroles de Pedro : « Arriba ! » (Tout le monde là-haut !) — tout le camp, si paisible un quart d’heure auparavant, fut dans un état de tumulte et d’agitation impossible à décrire. Chacun courait de ci, de là, questionnant, s’écriant et se lamentant. Les mères rappelaient leurs enfants auprès d’elles et les serraient sur leur cœur en sanglotant. Elles croyaient déjà voir la lance ou le couteau à scalper des Indiens levés sur eux.