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nœuvre actuelle : ils ont vu notre fumée, et ils comptent nous surprendre en nous attaquant à la fois des deux côtés de la montagne. Retournons au camp de toute la vitesse de nos jambes. Nous n’avons pas une minute à perdre, pas même une seconde ! »

Cette fois les chasseurs ne s’attardèrent pas en route. Ils coururent à perdre haleine le long du chemin qu’ils avaient tracé dans le makis ; ils passèrent près du carnero, près de la source, près des dindons toujours accrochés sur leur pitahaya, sans songer à s’arrêter, et encore moins à prendre leur gibier. Tout le camp des mineurs était en mouvement. Hommes, femmes et enfants étaient debout et à l’œuvre. Les uns versaient de l’eau sur les roues desséchées des chariots pour empêcher le bois de se retirer ; d’autres raccommodaient les harnais et les selles ; d’autres encore s’occupaient, dans la prairie, à mettre les chevaux à des places fraîches ; enfin, quelques-uns écorchaient et dépeçaient un bœuf.

Des femmes et des jeunes filles entouraient les différents feux sur lesquels elles faisaient la cuisine ; armées do petites verges, elles fouettaient le chocolat qui cuisait dans des pots de terre, de manière à en faire une crème mousseuse. D’autres, à genoux, la pierre metate devant elles et le metlapilla à la main, broyaient le maïs bouilli, qui sert à préparer leurs éternelles tortillas.

Les enfants jouaient au bord du lac. Ils entraient dans l’eau jusqu’à la cheville et barbottaient comme de petits canards. Les plus grands avaient fabriqué des lignes avec un bâton, une ficelle et une épingle recourbée, et s’efforçaient de pêcher avec ces engins primitifs. Le lac, quoique situé au milieu du désert, était peuplé de poissons argentés. Le ruisseau qui le traversait, presque à sec en été, était un affluent de l’Horcasitas, qui devenait parfois assez volumineux pour permettre aux poissons de le remonter.

On avait dressé trois tentes dans le corral : une carrée, très grande, et deux autres plus petites, qui étaient en forme de cloche. Celle du milieu, la grande, servait à don Estevan et à la señora Villanneva ; celle de droite était occupée par Gertrudès et sa femme de chambre indienne ; celle de gauche, par Henry Tresillian et son père. Toutes les trois étaient vides. Robert Tresillian passait l’inspection du camp avec le majordome ; son fils, nous le savons déjà, avait accompagné Pedro dans son excursion, et toute la famille Villanneva se promenait autour du lac, légèrement ridé par la brise.

Les promeneurs se disposaient à rentrer, lorsqu’un cri, poussé du haut du ravin, remplit tout le camp d’alarme.

« Los lndios ! » ( Les Indiens !)

Chacun leva la tête avec curiosité.

Pedro et Henry Tresillian se tenaient sur une saillie de rocher, qui surplombait le camp ; ils répétèrent encore leur appel et dégringolèrent le long de la montagne, au risque de se casser le cou. À l’entrée du ravin, ils trouvèrent une foule de gens en émoi qui les assaillirent de questions, auxquelles ils ne répondirent que par ces deux mots ; « Los Indios. » Écartant ces importuns, ils se précipitèrent vers l’endroit où les attendaient Villanneva et son associé, qui l’avait rejoint.

« Où donc, avez-vous vu des Indiens, don Pedro ? demanda Robert Tresillian.

— Dans le llano, au nord-est.

— Êtes-vous certain que ce soient des Indiens ?

— Oui, señor. Nous avons reconnu des cavaliers armés qui ne peuvent être que des Peaux-Rouges.

— À quelle distance peuvent-ils être ? demanda don Estevan.

— Quand nous les avons aperçus, ils étaient à environ dix milles, — peut-être même davantage, — et ils ne doivent pas être beaucoup plus près, maintenant, car nous avons à peine mis trente minutes pour redescendre. »

La respiration haletante des chasseurs et leurs visages empourprés témoignaient de la rapidité de leur course. Ce retour avait été un véritable steeple-chase.

« Il est heureux que vous les ayez vus de si loin, reprit don Estevan.

— Ah ! señor, dit Pedro, ils ont beau être loin, ils seront bientôt ici. Ils ont deviné notre présence, et ils sont déjà en route pour nous envelopper. Une cavalerie légère comme la leur n’est pas longue à faire dix milles dans une plaine aussi unie.

— Que nous conseillez-vous de faire, don Pedro ? demanda le vieux militaire en tortillant sa moustache d’un air anxieux.

— Avant tout, il ne faut pas rester ici, répondit le gambusino. Levons le camp le plus