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CHAPITRE VI
LOS INDIOS


Nous avons laissé nos chasseurs au moment où ils s’éloignaient du vieux bélier tombé sous les coups de don Pedro.

Henry ne partageait pas l’opinion de son camarade. Il trouvait que les cornes en spirale du carnero valaient la peine d’être emportées ; aussi, quoique ce trophée ne lui appartînt pas précisément par droit de conquête, il résolut de se l’approprier quand il reviendrait. Quel bel effet feraient ces gigantesques cornes cannelées dans un « hall » de la vieille Angleterre !

Un seul regard jeté sur le gambusino effaça toutes ces pensées. Le Mexicain paraissait de plus en plus soucieux, et Henry, qui comprenait toute la gravité de ses préoccupations, se laissa également envahir par l’inquiétude. Ni l’un ni l’autre ne disaient mot. Ils avaient assez à faire de se frayer un chemin dans le fouillis de lianes et de branches d’arbres où ils se trouvaient. Il n’existait pas même de sentes de bêtes fauves. Tous ces obstacles ralentissaient leur marche ; aussi, chaque fois que Pedro était obligé de se servir de son machete, il y joignait un accompagnement de jurons énergiques, aussi nombreux que les broussailles qu’il abattait.

Ainsi arrêtés à chaque pas, les chasseurs mirent plus d’une heure pour faire moins d’un mille. Enfin ils atteignirent l’extrémité du makis et finirent par arriver à la limite du plateau. Là, leur vue s’étendait sans bornes, au nord, à l’est et à l’ouest, et embrassait une surface de llano d’au moins vingt milles. Ils n’eurent pas besoin de regarder si loin pour trouver ce qu’ils cherchaient. Ami-chemin de cette distance, on voyait un épais tourbillon de couleur jaunâtre dont la base reposait sur la plaine.

« Ce n’est pas de la fumée, dit le gambusino, mais c’est de la poussière soulevée par une troupe de chevaux. Il doit bien y en avoir plusieurs centaines !

— Ce sont peut-être des mustangs sauvages, dit Henry.

— Non, señorito, ils ont des cavaliers sur leur dos, car sans cela le nuage de poussière qu’ils soulèvent serait bien autrement dispersé… Ce sont des Indiens ! »

Pedro se retourna vivement du côté du camp.

« Carrai ! s’écria-t-il, quelle imprudence d’avoir fait du feu ! Mieux eût valu ne pas déjeuner !… C’est moi qui suis le plus coupable, car j’aurais dû les avertir. Il est trop tard maintenant. Les Indiens ont évidemment aperçu cette fumée, et celle aussi de nos coups de feu, ajouta-t-il en secouant la tête. Ah ! muchacho, nous avons fait plus d’une bévue ! la préoccupation qui m’avait fait gravir ce plateau aurait dû tout dominer ! »

Henry ne répondit pas. Qu’eût-il pu répondre ?

« Quel malheur que je n’aie pas demandé à don Estevan de me prêter son télescope, continua Pedro, mais j’en vois assez à l’œil nu pour être certain que mes craintes étaient malheureusement bien fondées. Notre chasse est finie, señorito, et nous nous battrons avant le coucher du soleil, peut-être même avant midi !… Regardez ! Voilà qu’ils se séparent. »

En effet, le nuage de poussière et la masse plus sombre qui était dessous se divisèrent ; les formes devinrent moins confuses ; on distingua plus nettement des chevaux, des cavaliers et des armes qui scintillaient au soleil.

« Ce sont des Indiens bravos, dit le gambusino d’une voix grave. Si ce sont des Apaches, comme je le crains, que le Ciel nous protège ! Je ne sais que trop ce que signifie leur ma-