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s’inquiéter de la présence de ces oiseaux ? C’est que ceux qui volaient au-dessus de leurs têtes étaient des vautours de deux espèces, des gallinazos et des zopilotes, ces fameux balayeurs des rues de Mexico, et qu’au lieu de décrire des cercles concentriques ou des spirales comme à leur ordinaire, ils se dirigeaient d’un vol rapide vers un point fixe où les appelait évidemment quelque charogne.

Il y en avait des quantités innombrables, à ce point qu’ils formaient dans le ciel une longue traînée noire, et ils se dirigeaient tous à la suite les uns des autres dans une seule direction, celle-là même que suivaient les Indiens, celle du Nauchampa-Tepetl.

« Qu’est-qui attire les vautours vers la Montagne-Perdue ? »

Telle fut la question qu’agitèrent entre eux les Coyoteros. Ils ne pouvaient la résoudre que par des conjectures. Il fallait qu’il y eût-là plus d’un cadavre d’antilope ou de mouton sauvage pour faire venir autant de vautours de si loin ! Sans les alarmer aucunement, ce spectacle piquait leur curiosité, et ils pressèrent le pas.

Quand ils arrivèrent de nouveau en vue de la Montagne-Perdue, ils s’arrêtèrent brusquement. Qu’était-ce encore qui attirait leur attention ? Une buée rougeâtre s’élevait du côté sud de la montagne. Serait-ce du brouillard provenant du lac ? Non. Leurs yeux experts reconnurent presque aussitôt la fumée d’un feu, et tout de suite ils comprirent que d’autres voyageurs les avaient devancés et étaient déjà campés au pied du Nauchampa-Tepetl.

Mais quelle sorte de voyageurs ? des Opatas ? C’était peu probable. Les Opatas, — Indios mansos, — les esclaves, comme ils appellent avec mépris ces autres races d’indiens qui ne leur ressemblent en rien, eux qu’on peut nommer les Pirates du Désert, — les Opatas sont un peuple de travailleurs, ils restent dans leurs villages et ne pensent qu’à la culture des terres et à l’élevage des bestiaux. Il n’y avait aucune raison pour que ces individus pacifiques se fussent aventurés à une aussi grande distance de leurs établissements. Que seraient-ils venus faire là ? C’était bien plus vraisemblablement une bande de blancs en quête de ce métal brillant qu’ils cherchent partout, jusque dans le domaine des Indiens, le désert, où ils ne trouvent souvent que la mort la plus atroce.

« Si nous avons affaire à des Visages-Pâles, nous saurons châtier l’audace des envahisseurs. »

Telle fut la résolution que prirent les Coyoteros.

Tandis qu’ils examinaient la colonne de fumée pour tâcher d’évaluer le nombre de feux qui l’avaient produite, et d’en déduire celui des hommes qui les avaient allumés, une autre fumée plus petite, plus blanche, une simple bouffée passagère, s’éleva du haut de la montagne et se dissipa presque instantanément. Quoiqu’ils n’eussent rien entendu, les sauvages en conclurent que cela provenait d’un coup de fusil. Dans l’atmosphère raréfiée des llanos, la vue l’emporte sur l’ouïe : on ne perçoit les sons qu’à une très faible distance. Les Indiens étant encore à plus de dix milles de la montagne, auraient à peine pu entendre un coup de canon tiré sur le plateau.

Ils délibéraient encore, quand une seconde bouffée de fumée partit d’un autre point de la montagne et s’évanouit comme la précédente. Cette fois, les Peaux-Rouges surent à quoi s’en tenir. Il y avait un camp de blancs au bord du lac, et des chasseurs étaient montés sur le plateau. Mais de quel genre d’individus étaient ces blancs ? C’est là ce qu’ignoraient les Coyoteros. Il se pouvait que ce fût une bande de mineurs, mais il se pouvait aussi que ce fût un régiment mexicain, ce qui changeait la question. Non pas qu’ils eussent peur d’une rencontre avec des soldats, loin de là ! Leur tribu, et eux en particulier, avaient une vieille querelle à vider avec les uniformes mexicains, mais leur mode d’action devait être tout autre. S’ils eussent été sûrs de leur première hypothèse, ils seraient allés droit au camp et l’auraient assailli vigoureusement, tandis que, dans la seconde, il leur fallait user de stratagème.

Au lieu donc de continuer à marcher en une seule troupe, ils se séparèrent en deux corps, dont l’un se dirigea à droite et l’autre à gauche, de manière à entourer le camp des Visages-Pâles.

Si les grands vautours qui obscurcissaient le ciel allaient vers la Montagne-Perdue pour y faire un bon repas, ils pouvaient être sans inquiétude, leur espoir ne serait pas déçu !