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leur présence à des ennemis, puisqu’ils avaient la certitude d’être seuls, mais parce que telle est leur coutume.

Leur première pensée fut de déplacer leurs chevaux qui avaient tondu l’herbe tout autour de leurs piquets ; la seconde, de déjeuner eux-mêmes. Pour cela, grâce à leurs apprêts de la veille, ils n’avaient qu’à soulever le couvercle de terre qui recouvrait leur four d’une nouvelle espèce, pour en retirer les mezcals cuits à point.

Cinq ou six Indiens se chargèrent de cette besogne peu attrayante. Ils enlevèrent d’abord, à la poignée, les mottes de gazon calcinées et fumantes. La terre réduite en cendres exigeait plus de précautions, car elle était brûlante, mais les sauvages cuisiniers savaient la manière de s’y prendre, et bientôt la peau de cheval apparut carbonisée, mais offrant encore assez de résistance pour pouvoir être hissée sans encombre au milieu du camp. On fendit l’enveloppe d’un coup de couteau, et le mets savoureux répandit tout à l’entour un parfum appétissant qui chatouilla agréablement les nerfs olfactifs des Peaux-Rouges, et leur donna au avant-goût des plaisirs qui leur étaient réservés.

En réalité, c’était un plat délicieux, même pour d’autres que pour des sauvages : sans parler de la chair de cheval que certains gourmets trouvent exquise ainsi préparée, le mezeal est un manger aussi bon qu’original. Il ne ressemble à rien de connu. Il a un peu l’aspect et le goût douceâtre du citron confit, mais il est plus ferme et d’une couleur plus foncée. Quand on en mange pour la première fois, on se sent la langue percée de mille petits dards ; on éprouve une sensation impossible à exprimer et qui n’a rien de bien agréable lorsqu’on n’y est pas accoutumé. Mais cela se passe bientôt, et tous ceux qui ont eu la curiosité de goûter du mezcal arrivent très vite à l’apprécier à sa juste valeur. Beaucoup de grands personnages mexicains le regardent comme un plat de luxe, et on le vend fort cher à Mexico et dans les principales villes du Mexique.

Le mezcal est la nourriture favorite des Apaches ; aussi quand le mot « prêt » eut été laconiquement prononcé par les maîtres d’hôtel, la bande des coyoteros se jeta gloutonnement sur le pâté bouillant et s’escrima des doigts et des dents sans souci des brûlures. Il ne resta bientôt plus rien, et si l’enveloppe de peau de cheval n’eut pas le même sort, ce fut parce que les sauvages étaient rassasiés, car en cas de disette ils la mangent fort bien et la trouvent même très bonne. Ce jour-là, ils l’abandonnèrent à leurs homonymes à quatre pattes, les coyotes.

Après ce repas homérique, ils se mirent à fumer. Les Indiens de l’Amérique, à quelque tribu qu’ils appartiennent, sont adonnés à l’usage du tabac. Il en était ainsi bien avant l’arrivée de Christophe Colomb. Chacun des Coyoteros avait sa pipe et sa blague pleine de tabac plus ou moins pur, selon le résultat de leurs dernières campagnes. Ils fumèrent silencieusement, comme toujours, et quand leur pipe fut éteinte et remise en place, ils se levèrent, détachèrent leurs chevaux, enroulèrent soigneusement les cordes qui les retenaient captifs, reprirent leur mince bagage, et sautèrent en selle d’un mouvement commun. Alors, comme la veille, ils se rangèrent deux par deux en une longue file, et partirent au trot.

À peine le dernier Peau-Rouge avait-il quitté le camp, que d’autres êtres vivants accouraient en foule pour les remplacer. Ces nouveaux venus étaient des loups qui avaient passé toute la nuit à hurler lugubrement. Alléchés par l’odeur du cheval tué, ils n’attendaient que le départ des sauvages pour prendre part au banquet.

Bientôt après, les Coyoteros cessèrent d’apercevoir la Montagne-Perdue. Cela tenait à une dépression du terrain qui se prolongeait pendant plusieurs milles, mais la route leur était si familière qu’ils ne s’inquiétèrent nullement d’avoir à la retrouver.

Pour ménager leurs mustangs, ils allaienl d’un pas modéré ; rien ne les pressait, du reste, car ils avaient largement le temps d’arriver avant la forte chaleur. Loin d’être silencieux cette fois, ils causaient bruyamment entre eux et riaient à gorge déployée. Ils avaient bien dormi, encore mieux déjeuné, et ils ne craignaient nulle attaque en plein jour. Malgré tout, et par pure habitude, ils regardaient machinalement autour d’eux et observaient jusqu’aux moindres indices.

Tout à coup, ils entrevirent quelque chose qui leur donna beaucoup à réfléchir. Ce n’était ni à l’horizon ni dans le llano, c’était dans le ciel bleu une bande d’oiseaux au noir plumage. Qu’y avait-il donc là de si extraordinaire et en quoi les Indiens pouvaient-ils