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— C’est un souhait auquel je m’associe de tout mon cœur, répondit Pedro. S’ils nous surprenaient, quelques-uns de nos hommes auraient grandes chances d’être scalpés ! Mais, muchacho mio, ne nous effrayons pas avant de savoir si nous sommes réellement en danger. Comme je vous le disais tout à l’heure, je ne suis pas absolument certain de ce que j’avance. L’estampeda a commencé presque aussitôt après que j’avais cru voir quelque chose, et je n’ai plus songé qu’à ce qui se passait dans la caravane. Lorsque j’ai voulu regarder de nouveau, il ne faisait plus assez clair pour rien distinguer.

— C’était peut-être de la poussière soulevée par le vent, dit Henry.

— Je le souhaite. J’ai interrogé plusieurs fois l’horizon pendant la nuit, et toujours sans rien voir de suspect ; mais, malgré tout, je ne suis pas tranquille. C’est plus fort que moi !… Quand on a été prisonnier des Apaches, ne fût-ce qu’une heure, on ne voyage pas sans trembler dans les pays où l’on est exposé à en rencontrer. Pour mon compte, j’ai de bonnes raisons pour ne pas oublier ma captivité chez eux. Voyez plutôt ! »

Le Mexicain écarta ses habits et exposa aux regards de son compagnon une profonde brûlure qui figurait sur sa poitrine une tête de mort.

« Voilà ce que les Apaches m’ont fait. Vous voyez qu’ils n’y vont pas de main morte. Cela les amusait beaucoup, et ils avaient l’intention de pousser leur amusement encore plus loin en se servant de moi comme d’une cible pour montrer leur adresse. Je pus me sauver à temps, mais je l’ai échappé belle. Comprenez-vous maintenant, muchacho, pourquoi j’ai si grande impatience d’arriver à un endroit de ce plateau d’où je puisse éclaircir mes doutes ? Ah ! les démons ! si je les tenais, avec quel plaisir je me vengerais ! »

Tout en parlant, les chasseurs marchaient toujours, mais ils n’avançaient que très difficilement, à cause des broussailles et des lianes entrelacées qui obstruaient leur route. Ils rencontrèrent à plusieurs reprises des sentes de bêtes fauves, et, en traversant un terrain sablonneux, Pedro fit remarquer à son compagnon des traces qu’il affirma être celles d’une espèce de mouton sauvage nommé carnero.

« Je savais bien que nous en trouverions, dit-il. Si toute la caravane ne mange pas aujourd’hui du mouton rôti, je ne m’appelle pas Pedro Vicente ; cependant ne nous attardons pas à les poursuivre, señorito. Attendons d’être fixés sur notre propre sort, car s’il est vrai que nous avons commencé notre journée par la chasse, il faut nous assurer, avant de la continuer ainsi, que nous n’aurons pas à la terminer par une bataille. — Ah ! qu’est-ce que cela ?… »

Ou venait d’entendre à quelque distance un bruit semblable à celui que fait le sabot d’un animal en frappant le sol. Ce bruit se répéta rapidement à plusieurs reprises ; il était accompagné d’une sorte de ronflement.

Le gambusino s’arrêta court, posa sa main sur l’épaule d’Henry pour l’empêcher de remuer et lui dit à l’oreille :

— C’est un carnero. Puisque le gibier vient se mettre de lui-même au bout de notre fusil et que cela ne nous détourne pas, profitons-en ! »

Henry ne demandait qu’à décharger les deux coups de son fusil.

Les chasseurs se faufilèrent doucement sous les arbres et arrivèrent au bord d’une autre clairière où paissait un troupeau de quadrupèdes qu’au premier abord on pouvait prendre pour des cerfs. Henry Tresillian s’y serait peut-être trompé, si au lieu des bois du cerf il ne leur eût vu des cornes de mouton. C’était des moutons sauvages, aussi différents de ceux que nous connaissons qu’un lévrier d’un basset. Ils n’avaient ni pattes courtes, ni grosse queue, ni toison touffue ; leur peau était lisse et douce ; leurs membres allongés, nerveux, souples comme ceux d’une biche.

Le troupeau se composait de mâles et de femelles. L’un des premiers, un bélier d’un âge vénérable, possédait des cornes tournées en spirale, beaucoup plus grosses que celles des autres et d’une telle longueur qu’on se demandait comment faisait son propriétaire pour tenir sa tête droite sous un pareil fardeau. C’était lui cependant qui la relevait avec le plus de fierté, c’était lui que Pedro avait entendu frapper du pied et aspirer l’air bruyamment. Il répéta encore une fois cette manœuvre, mais ce fut la dernière : on le guettait dans le taillis, et à travers les feuilles mortes le canon d’une carabine était braqué sur lui.

Il y eut un double jet de flamme et de fumée, une double détonation, et le vieux bélier tomba mort. Ses compagnons furent plus heu-