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Un vieux coq ouvrait la marche ; il se dandinait gravement, très fier de sa haute taille et de son brillant plumage qui, sous les rayons du soleil levant, étincelait de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Avec les dindes et les dindonneaux qui l’escortaient, on eût dit un sultan au milieu de son sérail.

Tout à coup, il releva la tête et poussa un cri d’alarme. Trop tard. Quatre détonations résonnèrent presque en même temps, et le vieux coq resta étendu sur le terrain ainsi que trois de ses satellites. Les autres s’envolèrent avec des cris sauvages et un bruit d’ailes semblable à celui d’une machine à battre. C’était évidemment la première fois qu’ils avaient affaire à ces engins meurtriers.

« Nous ne commençons pas trop mal, fil le gambusino. Qu’en dites-vous, don Henrique ?

— Je ne demande qu’à continuer, répondit Henry qui savait bien que les belles plumes des guajalotes seraient appréciées par son amie Gertrudès. Mais qu’allons-nous en faire ? ajouta-t-il, nous ne pouvons pas les emporter avec nous.

— À quoi bon ? répliqua le Mexicain. Laissons-les par terre, nous les reprendrons au retour. Ah ! reprit-il vivement, il doit y avoir ici des loups et des coyotes, et nous pourrions bien ne retrouver que des plumes. Mettons-les à l’abri. »

Ce ne fut pas long. En un clin d’œil les pattes des dindons furent réunies de façon à former une sorte de boucle par laquelle on accrocha les oiseaux à la plus haute branche d’un pitahaya. Bien fin serait le coyote qui les attraperait ! Quel animal eut pu monter le long de la tige épineuse de cette espèce de cactus ?

« Voilà nos oiseaux en sûreté, dit le gambusino en rechargeant son fusil. En avant ! il faut espérer que nous rencontrerons d’assez gros spécimen d’une race à quatre pattes, pour que nous ayons tous de la viande fraîche ce soir ; mais nous serons obligés de courir longtemps, car nos coups de fusil ont dû effrayer tout le voisinage.

— Le plateau n’est pas si grand, dit Henri, nous n’aurons pas à aller bien loin.

— Il est plus grand que vous ne le croyez, senorito, car c’est une succession de collines et de vallées en miniature. Hâtons-nous, muchacho, j’ai des raisons pour désirer arriver le plus tôt possible à l’autre extrémité du plateau.

— Quelles raisons, s’écria le jeune Anglais surpris de l’inquiétude peinte sur le visage de Pedro, et que ne démentait pas le ton mystérieux dont il parlait. Puis-je les connaître ? ajouta-t-il.

— Certainement. Je les aurais déjà dites à vous comme aux autres si j’avais été sûr de mon fait, mais je ne tenais pas à répandre l’alarme au camp sans motifs suffisants. Après tout, dit-il comme se parlant à lui-même, je me suis peut-être trompé. Peut-être n’était-ce pas de la fumée ?

— De la fumée ! répéta Henry. Que voulez-vous dire ?

— Je parle de ce que j’ai cru voir hier au moment où nous arrivions au bord du lac.

— À quel endroit ?

— Au nord-est, encore assez loin d’ici.

— Mais en admettant que c’eût été de la fumée, que nous importe ?

— Vous vous trompez, senorito. Dans cette partie du monde, cela importe beaucoup. Cela peut indiquer un danger.

— Comment ! vous voulez me mystifier, señor Vicente ?

— Nullement, muchacho. Il n’y a pas de fumée sans feu, n’est-ce pas. »

Henry accueillit par un mouvement de tête ironique cette vérité reconnue dans tous les pays.

« Eh bien, poursuivit Pedro, un feu dans les llanos ne peut guère avoir été allumé par d’autres que par des Indiens. Me comprenez-vous, à présent ?

— Parfaitement, mais je croyais que dans la partie de la Sonora où nous nous trouvons il n’y avait que des Indiens Opatas, qui ont des mœurs très douces et ont toujours été considérés comme nos amis depuis qu’ils sont convertis et civilisés.

— Les villages des Opatas sont bien loin d’ici et dans une direction opposée à celle où j’ai entrevu de la fumée. Si je ne me suis pas trompé, le feu d’où venait cette fumée était allumé, non par des Opatas, mais par des hommes qui ne leur ressemblent que par la couleur de leur peau.

— Des Indiens aussi ?

— Des Apaches.

— Ce serait terrible, murmura le jeune Anglais, qui avait assez vécu à Arispe pour connaître la réputation sanguinaire de cette tribu et le péril qu’il y avait à en rencontrer une borde. J’espère qu’ils sont bien loin de nous, dit-il plus haut.