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c’était sur la Montagne-Perdue que se trouvait le point d’attaque, jusqu’ici connu de lui seul, de la mine qu’il avait découverte dans ses recherches antérieures ; mais il était évidemment préoccupé et troublé par une autre pensée ; il était sombre et distrait ; assez loquace ordinairement, il restait morose et silencieux. Henry le suivait sans mot dire.

L’ascension de la Montagne-Perdue commença presque immédiatement après la sortie du camp. Elle n’était praticable qu’en grimpant une montée très raide qui n’était autre que le lit d’un ravin, une sorte de gorge creusée par les eaux d’une source qui existait au sommet et dont les orages et les pluies d’hiver faisaient souvent un torrent. C’était, dans la saison sèche, un terrain rocailleux, abrupt, une sorte de fissure dans les rochers qui montait presque verticalement de la plaine au sommet, entre deux grandes murailles de pierres. Au milieu coulait le ruisseau qui n’était pour le moment qu’un filet d’eau.

« Ouf ! lit Henry, j’aimerais autant monter à une échelle de corde !

— Il est certain que c’est suffisamment raide, répondit Pedro, mais c’est le seul endroit par lequel on puisse arriver sur le plateau.

— Il n’y a point d’autre chemin nulle part ? demanda Henry.

— Pas le moindre. De tous les autres côtés, la Montagne-Perdue n’est qu’une immense corbeille de pierres, une sorte de forteresse née d’un caprice de la nature, et défendue de tous les côtés par une série de précipices accessibles seulement aux oiseaux. Les antilopes mêmes ne pourraient les escalader, et si nous en trouvons là-haut, ou bien elles y seront nées, ou bien elles auront grimpé par ici.

— C’est un vrai chemin de chèvres, dit Henry, que le roulement des pierres sous ses pas amusait. On est obligé de marcher en zigzags pour ne pas tomber.

— Prenez garde, señorito, s’écria Pedro en voyant que son compagnon marchait sans précaution sur les pierres glissantes ; prenez garde : le déplacement d’une petite pierre peut amener celui d’une plus grosse, et si ces blocs roulaient sous vos pieds, ils pourraient rebondir jusqu’au camp et écraser quelqu’un. »

Le jeune homme devint pâle en pensant aux suites qu’aurait pu avoir son étourderie. Il voyait déjà ses amis exposés, par sa faute, aux plus grands dangers.

« Rassurez-vous, lui dit le gambusino. S’il y avait eu quelque malheur, nous l’aurions bien entendu.

— Ah ! vous m’avez fait peur, dit Henry, mais vous avez raison, il faut faire attention à nos pas. »

L’ascension continua donc plus lentement.

Au bout d’un temps relativement assez court, car ils n’avaient guère eu que cinq cents pieds de hauteur à gravir, les chasseurs parvinrent au-dessus du ravin et se trouvèrent sur un terrain plat et boisé.

Après avoir marché sur le plateau l’espace de trois ou quatre cents mètres, ils se trouvèrent à l’entrée d’une clairière. Le Mexicain s’écria en y entrant : « el ojo de agua. »

C’est cette phrase : el ojo de agua (l’œil de l’eau), que les Mexicains emploient pour désigner une source quelconque, ou du moins l’endroit où une source sort de terre. Henry Tresillian connaissait déjà ce nom poétique, et il comprit aussitôt ce que voulait dire son compagnon. Vers le milieu de la clairière, l’eau, limpide comme du cristal, s’échappait en bouillonnant d’une fente de rocher, et formait un petit bassin circulaire d’où partait le ruisseau qui se jetait dans le lac et que les chasseurs avaient suivi jusque-là.

Le gambusino prit la corne de bœuf qu’il portait en sautoir et se pencha vers la source.

« Je ne saurais résister à la tentation, dit-il. Malgré la quantité d’eau que j’ai bue hier après être resté si longtemps à la demi-ration, il me semble que je n’arriverai jamais à me désaltérer. ».

La corne fut remplie et vidée en une seconde.

« Delicioso, » s’écria Pedro en la remplissant de nouveau.

Henry imita son exemple, mais la coupe qu’il prit dans son carnier était en argent massif, la vaisselle d’or et d’argent n’étant pas rare chez les maîtres mineurs de la Sonora.

Au moment de se remettre en marche, ils entendirent un bruit d’ailes et virent sur la lisière de la clairière une compagnie de grands volatiles qui marchaient posément les uns devant les autres et se baissaient de temps en temps pour avaler un insecte, ou pour becqueter un brin d’herbe. C’étaient les guajalotes dont avait parlé Pedro. Ils ressemblaient tant à leurs congénères de basse-cour qu’Henry les reconnut sans peine, tout en les trouvant beaucoup plus beaux que ces derniers.