Page:Reid - Aventures de terre et de mer, Hetzel, 1891.djvu/702

Cette page n’a pas encore été corrigée

Les mineurs avaient donc dressé leur camp en toute sécurité, sans toutefois négliger les précautions nécessaires dans le désert. Don Estevan avait fait trop de campagnes pour commettre aucune imprudence. Il n’avait rien omis de ce qui se pratique en pareil cas. Les six chariots placés à la suite les uns des autres, avec leurs brancards entrelacés, constituaient un corral ovale, c’est-à-dire une enceinte assez vaste pour contenir tous les voyageurs, et qu’il était facile de renforcer en cas d’attaque en y accumulant les ballots et les caisses de bagages.

Quant aux chevaux et aux bestiaux, on les avait simplement mis au piquet en dehors du corral. Après leurs souffrances des jours précédents, ils ne devaient pas avoir la moindre envie de s’échapper de ces pâturages plantureux.

Les feux allumés la veille s’étaient éteints pendant la nuit, on ne les avait pas entretenus ; à quoi bon ? En été, la fraîcheur n’est point à redouter. Mais les femmes des mineurs les rallumèrent de grand matin pour préparer le déjeuner.

Pedro Vicente se leva avant tout le monde, mais non pas pour prendre part à ces opérations culinaires qu’il méprisait profondément, en sa qualité de gambusino et de guide. S’il était levé de si bonne heure, c’était pour une double raison, qu’il avait jugé à propos de ne confier à personne. Il avait seulement dit à son compagnon de chasse habituel, Henry Tresillian, qu’il voulait gravir la montagne dès l’aurore, pour y chercher du gibier à poil ou à plume.

Le gambusino, chasseur émérite, s’était engagé au départ à entretenir la caravane de viande fraîche ; or, il n’avait pas encore trouvé l’occasion de tenir sa promesse, car le peu de gibier qu’il comptait rencontrer en route avait fui dans d’autres contrées à cause de la sécheresse. Il s’agissait de rattraper le temps perdu. Pedro savait par expérience qu’il y avait des oiseaux et des quadrupèdes sur ce large plateau couvert d’arbres, d’où sortait le ruisseau qui alimentait le lac. Il avait annoncé au jeune Anglais qu’ils y trouveraient des moutons et des antilopes, des ours peut-être, mais à coup sûr des dindons sauvages, qu’on entendait s’appeler et se répondre avec ce cri sonore qui leur a valu leur nom mexicain de guajalote.

En fallait-il davantage pour expliquer son désir d’escalader avant tout autre la montagne ? Henry Tresillian n’eut pas le moindre soupçon de la vérité. Il ne s’imaginait guère que le gambusino eût une autre raison beaucoup plus sérieuse pour vouloir entreprendre cette ascension. Lui-même était grand amateur de chasse et d’histoire naturelle, et il accueillit avec enthousiasme l’idée d’accompagner Pedro dans Cette excursion. La Montagne-Perdue lui offrirait sans doute plus d’une curiosité qui compenserait largement la peine de la gravir.

S’il faut tout dire, et s’il n’est pas trop indiscret de dévoiler à nos lecteurs les pensées les plus secrètes du jeune Anglais, nous ajouterons qu’il faisait cette ascension avec l’intention bien arrêtée de rapporter à la señorita Gertrudès soit une des fleurs rares dont elle faisait collection, soit un oiseau aux plumes éclatantes ou tout autre trophée qui lui valût en échange un doux sourire de la belle jeune fille.

Tous ces motifs réunis firent qu’à la minute même où Pedro sortait de dessous le chariot où il avait passé la nuit enveloppé dans une couverture, Henry Tresillian, non moins matinal, soulevait le coin de sa tente et apparaissait tout équipé. Il portait le costume de chasse des Anglais, qui lui allait à ravir, et, son carnier sur l’épaule et son fusil à double coup à la main, il semblait plutôt prêt à poursuivre des faisans dans un bois réservé ou des perdrix dans un champ d’Europe, qu’à affronter des animaux qui pouvaient n’être pas tous inoffensifs.

Quant au gambusino, il avait comme la veille les vêtements si originaux de ses pareils, mais il s’était muni d’une carabine de meilleur calibre, et de cette petite épée courte qu’on appelle dans le pays un machete, et quelquefois aussi un cortante.

Tout ayant été convenu entre eux la veille, les chasseurs échangèrent un bonjour rapide et se mirent en quête de leur déjeuner. Bientôt une des femmes de mineurs leur tendit une tasse de chocolat et une tortilla enchilada en leur adressant quelques paroles aimables. Ils burent leur chocolat à la hâte, avalèrent quelques bouchées de ces gâteaux de maïs secs et durs comme du cuir, qui sont l’accompagnement obligé de tous les repas des Mexicains, et se glissèrent sans bruit hors du corral.

Pedro semblait plus impatient de partir que ne le comportait la situation ; sans doute