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chevaux et des mulets. Quel tumulte ! quel vacarme assourdissant ! La voix du majordome, chargé de veiller sur la caravane, le dominait.

« Guarda la estampeda ! » criait-il, de toute la force de ses poumons.

Les bêtes altérées sentaient l’eau. Il n’était plus besoin de coups de fouet pour les faire avancer, loin de là. À peine leurs conducteurs pouvaient-ils contenir leur ardeur.

Bientôt tous prirent le galop. Ce fut une course folle jusqu’au lac. Mules et chevaux pêle-mêle, avec les chariots et les bestiaux, galopaient au milieu d’un bruit dont rien ne peut donner l’idée. Les lourds chariots roulaient avec la rapidité de l’éclair, et comme, à mesure que l’on approchait de la montagne, le sol était jonché de pierres parfois assez grosses pour soulever les roues et faire pencher les voitures, les femmes et les enfants qui y étaient renfermés poussaient des cris perçants et s’attendaient à tout moment à être renversés.

Heureusement, mais par un hasard presque extraordinaire, car les conducteurs ne pouvaient plus guider leurs mules, des chariots gardèrent leur équilibre dans ce dédale de rochers ; personne ne fut sérieusement blessé. On en fut quitte pour quelques contusions peu graves.

De ce train-là, il ne fallait pas longtemps pour arriver au lac. Les voyageurs, entraînés par ce tourbillon, virent bientôt devant eux une immense nappe d’eau, illuminée par les derniers rayons du soleil couchant, et entourée de vertes prairies.

Les éclaireurs, qui n’avaient rien découvert de suspect, étaient encore à cheval au pied de la montagne. Ils furent stupéfaits de voir venir sitôt la caravane, mais leurs camarades n’eurent pas le loisir de leur donner d’explication. Les animaux qui les entraînaient continuèrent leur course échevelée jusqu’au bord du lac et ne s’arrêtèrent que lorsqu’ils eurent de l’eau plus haut que les naseaux.

Alors on n’entendit plus de hennissements ou de mugissements furieux ; tous demeurèrent silencieux, satisfaits et comme ivres d’eau.


CHAPITRE IV
EL OJO DE AGUA


Le lendemain, dès que l’aube commença à blanchir le ciel bleu, les animaux sauvages qui habitaient sur la Montagne-Perdue, contemplèrent à leurs pieds un spectacle qu’ils n’avaient jamais vu dans ce lieu solitaire. C’était la première fois qu’un chariot ou tout autre véhicule analogue se trouvait près de ces rochers, éloignés des villes et des campements fixes, et situés en dehors des routes de communication.

Les seuls hommes blancs qui fussent jamais venus là étaient des chasseurs ou des chercheurs d’or isolés, et encore n’avaient-ils fait que de rares apparitions. Les Peaux-Rouges, les Apaches surtout, s’y arrêtaient plus volontiers, car le lac de la Montagne-Perdue était presque sur leur passage quand ils allaient faire des incursions le long de l’Horcasitas.

Les Mexicains envoyés la veille en éclaireurs avaient bien découvert de nombreuses traces des passages antérieurs des Indiens, mais aucune récente et susceptible de leur inspirer des inquiétudes sérieuses. Il n’y avait point de marques fraîches sur l’herbe de la prairie, et le sable blanc qui formait autour du lac comme une ceinture d’argent, ne portait pas d’autres traces que celles des bêtes fauves qui étaient venues y étancher leur soif.