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longueur sur une de ses faces et un peu plus d’un mille de largeur, tandis qu’elle a quelque cinq cents pieds d’élévation. C’est peu pour une montagne, mais c’est assez pour lui mériter ce nom dans ces immenses plaines découvertes où elle n’a pour concurrence ni sierra, ni éminence quelconque, où elle s’élève solitaire, égarée et comme perdue au milieu du désert.

De là son appellation bizarre de Montagne-Perdue.

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« De quel côté est le lac, senor Vicente ? demanda Robert Tresillian qui marchait toujours en tête de la caravane avec don Estevan et le gambusino.

— Du côté sud, répondit celui-ci, et c’est bien heureux pour nous, car sans cela nous aurions à faire au moins une lieue de plus.

— Comment ! je croyais que la montagne tout entière n’avait pas plus de quatre milles de long ?

— C’est vrai, senor, mais le terrain qui l’entoure est couvert de quartiers de rocs au milieu desquels nous ne pourrons jamais passer avec nos chariots. J’imagine que ces blocs sont tombés du haut de la montagne, mais je n’ai jamais pu comprendre comment ils ont pu rouler à des centaines de mètres de la base ! J’ai pourtant étudié toute ma vie les montagnes avant d’étudier celle-là en particulier.

— Et vos études vous ont bien servi, interrompit don Estevan. Mais n’entamons point de discussions géologiques en ce moment. Je suis trop préoccupé d’autre chose.

— De quoi donc ? demanda Tresillian.

— J’ai ouï dire que les Indiens visitaient quelquefois la Montagne-Perdue ; qui sait si nous n’allons pas en rencontrer ?

— Il n’y a rien d’impossible à cela, murmura le gambusino.

— Malgré ma lunette d’approche, continua don Estevan, je ne vois aucun indice de ce genre, mais la montagne ne se montre à nous que d’un côté, et qui sait ce qui peut se cacher de l’autre ? Il faut tout prévoir, même la malchance. Je suis d’avis que ceux qui sont le mieux partagés sous le rapport des chevaux, aillent en reconnaissance pour s’en assurer. S’il se trouvait là des Peaux-Rouges en nombre considérable, étant avertis, nous serions au moins capables de nous défendre en faisant un corral.

Don Estevan était un ancien militaire. Avant de s’occuper de mines, il avait fait plus d’une campagne contre les trois grandes tribus indiennes hostiles aux Mexicains : les Comanches, les Apaches et les Navajos ; aussi le gambusino se garda bien de rejeter son conseil. Il l’approuva de point en point et demanda seulement à faire partie des éclaireurs. On choisit pour l’accompagner une demi-douzaine d’hommes courageux dont les chevaux avaient encore assez de vigueur pour leur permettre d’échapper aux sauvages, s’ils étaient poursuivis.

Henry Tresillian était de ce nombre. Il s’était offert lui-même dès les premiers mots de don Estevan, car il ne craignait rien pour sa monture ; il savait que Crusader — c’était le nom de son cheval — était de force à le porter n’importe où, et à distancer n’importe quel ennemi.

Crusader était un magnifique cheval arabe qui n’avait pas son pareil au monde. Sa robe d’un noir d’ébène, sur laquelle pas un poil blanc ne tranchait, ses jambes fines et nerveuses, sa tête intelligente et son corps à la fois élégant et fort, en faisaient un animal hors ligne. Henry l’aimait comme un ami. Tous les chevaux de la caravane semblaient malades, épuisés, à demi morts de soif : Crusader lui, ne paraissait pas avoir souffert. Il est vrai que son jeune maître avait partagé avec lui jusqu’à sa dernière ration d’eau.

Quelques minutes après, les éclaireurs, ayant reçu les instructions nécessaires, partirent au galop.

Robert Tresillian n’avait fait aucune objection au départ de son fils. Il était heureux de voir le courage dont Henry faisait preuve à toute occasion, et il le suivit longtemps d’un regard attendri.

D’autres yeux que les siens restèrent longtemps aussi fixés sur le jeune homme avec un mélange de crainte et de fierté. C’étaient ceux de Gertrudès Villanneva. Elle était fière de la vaillance déployée par celui que son jeune cœur commençait à aimer, mais sa tendresse de femme s’inquiétait des dangers auxquels il s’exposait continuellement.

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Vingt minutes après, toute la caravane avait changé d’aspect. Les animaux, les narines frémissantes, levaient la tête, humaient l’air, dressaient les oreilles et les agitaient convulsivement. Les mugissements des bêtes à cornes répondaient aux hennissements des