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procurer à son fils l’entrée de l’École militaire, et, cela fait, il s’endormit dans la mort, et rêvant d’une postérité restaurée dans la grandeur de ses ancêtres, et d’une puissance appuyée d’une part sur les dignités militaires, de l’autre sur une grande fortune et sur des affinités secrètes avec les races de la prairie.

Le jeune Mac Diarmid, jusqu’à ce jour étranger au monde, élevé par des maîtres particuliers, dans le calme de la maison paternelle, se trouva tout à coup jeté, avec son orgueil de race et ses aspirations d’enfant, au milieu des cinq cents élèves de l’Académie de West-Point.

Il parlait déjà quatre langues, savait l’histoire ancienne et l’histoire de la vieille Europe. Mais celle de l’Amérique lui était restée fermée jusqu’à ce jour, et c’est avec une ardeur extraordinaire qu’il se jeta sur les chroniques relatives à la race de sa mère. Il apprit ainsi quel accueil hospitalier les Indiens avaient fait à ces pieux pèlerins qui devaient, en moins de cinquante ans, les déposséder de leur héritage et les exterminer presque jusqu’au dernier. Il étudia la carte de l’Amérique du Nord, toute couverte de noms indigènes, et se dit que, de ces peuples aborigènes, heureux possesseur, il y avait à peine un siècle, des territoires compris entre le Mississipi et l’Atlantique, il ne restait même pas une tribu. Il s’attendrit sur la longue résistance des Séminoles, tenant tête, pendant des années, dans un coin de la Floride, à toutes les forces d’une grande puissance. Il apprit que cette résistance même ne s’était terminée que par le coup de « haute politique » d’un officier blanc, qui, ayant invité quarante des principaux Séminoles à une conférence, les fit traîtreusement prisonniers. Il sut que cet officier avait plus tard été récompensé de ce « coup de maître » par la magistrature du pays. Enfin il feuilleta page à page les annales de cette lutte désespérée, et partout il ne vit que traités foulés aux pieds, cruauté, mauvaise foi, extermination sans merci d’une race dont le seul crime était d’exister.

Et alors il eut la faiblesse, lui, le sang mêlé, de sympathiser avec ces « vermines de la plaine », comme les gens de la frontière appellent les Indiens. Tout son être se révolta ; il se demanda s’il n’y avait pas là une épouvantable injustice à réparer.

Pendant des vacances qu’il passa chez lui, il lui tomba sous la main une histoire du Canada, et il vit que les Français avaient toujours été justes et humains pour les peuplades indigènes de ce pays, et qu’ils les avaient civilisées au lieu de les détruire. Il vit aussi que les Anglais, après avoir, par le droit de la guerre, pris possession de ce pays, y avaient en même temps hérité de la politique conciliante de leurs prédécesseurs, et que, là du moins, les Indiens et les blancs avaient toujours vécu en bonne intelligence, en attendant qu’ils se fussent fondus en une race unique. Pourquoi n’en est-il pas de même aux États-Unis ? se demandait-il.

Ces réflexions douloureuses jetèrent chez le jeune homme les premiers germes du grand projet qu’il poursuivait maintenant. L’injustice personnelle dont il fut victime avait fait le reste.

Unir dans une grande ligue toutes les peuplades aborigènes disséminées au nord des États-Unis, les conduire à une guerre d’indépendance et de revanche et enfin traiter de leur affranchissement définitif : tel était son rêve.

Il avait vu d’assez près quelques-uns des chefs du désert pour les trouver braves, honnêtes, fidèles à leur parole, profondément attachés à leur honneur, en un mot très supérieurs moralement à beaucoup de blancs.

Bref, il s’était cru autorisé à se jeter dans la révolte, et maintenant il s’y plongeait tête baissée.