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Il valait beaucoup mieux les laisser reposer et faire halte au Nauchampa-Tepetl le lendemain vers le milieu du jour.

C’est sans doute ce que se dit le chef des sauvages, car il sauta à bas de son cheval et se mit en devoir de l’attacher à un piquet. La question fut résolue. Cette action équivalait à un ordre, et tous les compagnons de « El Cascabel » (le Serpent-à-Sonnettes) imitèrent aussitôt son exemple.

Selon leur habitude, les Indiens commencèrent par s’occuper de leurs mustangs, après quoi ils pensèrent à eux-mêmes. Ils se mirent à la recherche de bois et allumèrent un grand feu, non pour se chauffer, puisqu’on était en été et que les nuits étaient à peine assez fraîches, mais pour faire leur cuisine. Leur dîner était encore sur pied, sous forme de chevaux de rebut qu’ils traînaient à leur suite. L’office de boucher ne fut pas long à remplir ; un coup de couteau dans la gorge d’un des chevaux le fit tomber mort dans un torrent de sang. On le dépeça en un clin d’œil, et les énormes quartiers de viande embrochés dans des bâtons et exposés à la chaleur de la flamme, devinrent bientôt des rôtis suffisamment appétissants.

Les hippophages récoltèrent ensuite sur les arbres voisins d’autres comestibles d’un aspect non moins engageant. C’étaient d’abord des gousses d'algarobia et des cônes de pin-pignon, qu’ils firent griller sur le feu en guise de légumes, puis des fruits de diverses espèces de cactus. Les meilleurs étaient ceux du pitahaya, dont les grandes tiges, nues jusqu’à une certaine hauteur, sont entourées au sommet d’une auréole de branches qui les fait ressembler de loin à de gigantesques candélabres. La plaine était parsemée de ces arbres bizarres. Ainsi les Coyoteros trouvèrent moyen de se procurer, en plein désert, jusqu’à du dessert.

Quand ils eurent terminé leur repas, ils se disposèrent à confectionner, pour leur déjeuner du lendemain, un mets que les Apaches estiment tant, qu’une de leurs tribus, celle des Mezcaleros, en fait sa nourriture et que son nom lui vient de cette même plante, le mezcal.

Ce végétal, que les botanistes nomment agave mexicaine, croît en abondance dans le désert. La manière de le préparer est moins compliquée qu’on ne pourrait le supposer. Voici comment procédèrent les Coyoteros. Ils arrachèrent d’abord une assez grande quantité de mezcals, coupèrent chacune des feuilles raides et effilées comme des épées, qui rayonnent du cœur, et enlevèrent la peau de ce cœur. Une masse blanchâtre ayant la forme d’un œuf et à peu près la grosseur d’une tête d’homme, fut alors à découvert. C’est cela seul que l’on mange.

Pendant qu’une partie des Indiens se livraient à ces préparatifs, d’autres creusaient une fosse, dont ils tapissaient le fond et les parois de pierres plates. On y jeta des charbons ardents qu’on laissa se réduire en cendres, et quand la fosse fut bien chauffée, on y déposa doucement les mezcals bien enveloppés dans la peau du cheval qu’on avait tué pour le souper. Les Peaux-Rouges avaient eu soin de mettre le poil à l’extérieur et de mélanger avec les plantes quelques morceaux de chair crue. Ils fermèrent l’ouverture de ce four primitif par d’épaisses plaques de gazon qui devaient conserver la chaleur pendant toute la nuit, et ils s’éloignèrent, sûrs de faire le lendemain un excellent repas.

Alors ils s’entourèrent de leur sérapé, et ne craignant pas d’être surpris à l’improviste dans ces solitudes qu’eux seuls connaissaient à fond, ils s’endormirent paisiblement en ayant pour lit la terre nue, et pour rideaux le ciel étoilé. Ils s’imaginaient peu qu’à quelques heures de galop de leur campement était un autre camp occupé par des ennemis de leur race, trop peu nombreux pour leur résister. S’ils avaient pu le savoir, ils n’auraient plus songé au repos ; ils se seraient jetés sur leurs mustangs et élancés à fond de train vers la Montagne-Perdue.