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lement représentés, et enfin, au centre même de ce cercle et à l’endroit le plus en vue, s’étalait un emblème connu dans l’univers entier : une tête de mort avec des os en croix grossièrement dessinés avec de la craie. Une couronne de plumes flottait sur la tête de cet homme à la physionomie aussi barbare que repoussante.

Il est presque inutile d’ajouter que cet individu était un Indien. Lui et ses compagnons appartenaient à une tribu renommée entre toutes pour sa férocité, celle des loups — Apaches ou Coyoteros, ainsi appelée à cause de sa ressemblance morale avec le chacal du Nouveau Monde, le coyote.

L’absence de femmes et d’enfants et le fait de voyager sans bagages indiquaient que les Coyoteros se disposaient à entreprendre quelque expédition guerrière. Leur équipement et leurs peintures de guerre le prouvaient encore mieux. Ils étaient munis de fusils, de pistolets et de lances ornées de banderoles qui avaient dû transpercer plus d’un lanzero mexicain. Quelques-uns même possédaient des revolvers et des carabines de systèmes assez perfectionnés, car la civilisation leur a du moins enseigné tous les moyens possibles de tuerie. En outre, le terrible couteau à scalper pendait à leur ceinture.

Ils marchaient en ligne régulière, deux par deux et non pas en « file indienne ». Il y a longtemps que les Indiens des prairies et des pampas ont apprécié les avantages des tactiques militaires de leurs ennemis les Figures-Pâles, et qu’ils les ont adoptées pour la cavalerie surtout. Toutes leurs peuplades ont su profiter des leçons que leur donnent les blancs dans l’art de la guerre, et, dans les États du nord du Mexique, ceux de Tamaulipas, de Chihuahua et de Sonora, on a vu à plusieurs reprises les Comanches, les Navajos et les Apaches charger les Mexicains en ligne rangée, et réduire en poussière de nombreux adversaires. Mais dans le llano découvert où voyageait cette bande de Coyoteros, il n’y avait nulle nécessité de s’avancer en colonne serrée, et la double file avait été adoptée.

Loin d’avoir, comme les mineurs, accompli trois jours de marche dans un désert aride, les Peaux-Rouges, qui connaissaient parfaitement le pays qu’ils traversaient et n’en ignoraient pas la moindre ressource ou le plus petit lieu de campement, n’avaient nullement souffert de la sécheresse. Ils ne s’en inquiétaient pas davantage pour la suite de leur voyage, car ils devaient côtoyer un cours d’eau, le Rio San-Miguel des cartes, que les Mexicains appellent l’Horcasitas. Ils étaient donc dans les meilleures conditions du monde pour réussir dans leur entreprise.

Une heure avant le coucher du soleil, ils aperçurent à l’horizon la Montagne-Perdue. Les Indiens ne la connaissent pas sous le nom de Cero Perdido ; ils la désignent sous celui de Nauchampa-Tepetl.

À ce propos, il est assez étrange de constater l’affinité qui existe entre les Indiens du nord du Mexique et les Aztèques du sud. Dans le langage de ces derniers, la montagne Péroté porte le même nom que le Nauchampa-Tepetl ; le mot « cofré » qu’on y ajoute le plus souvent signifie, comme Nauchampa, coffre ou boite, et leur a été donné à cause de la ressemblance assez marquée que présentent ces deux montagnes, vues de certains côtés, avec une énorme coffret rectangulaire, dont le couvercle est figuré par un plateau d’une certaine étendue.

Mais les Coyoteros se souciaient fort peu d’ethnographie et de philologie, ils pensaient au meurtre : le but unique de leur expédition était de saccager un des établissements d’Opatas ou de blancs situés sur les rives de l’Horcasitas. Cependant, quand la Montagne-Perdue leur apparut, une autre question les absorba un moment. Il s’agissait de décider s’il était prudent ou même possible de tenter d’y arriver la nuit. Les avis étaient partagés : les uns disaient oui et les autres non. Ainsi que l’avait dit Pedro Vicente, les distances sont trompeuses dans cette atmosphère diaphane de la Sonora, et quoique le Nauchampa-Tepetl ne semblât éloigné que de dix à douze milles, il y avait bien à faire le double de chemin pour atteindre le lac. Mais les naturels du pays, les aborigènes surtout, sont habitués à ces erreurs visuelles et calculent en conséquence. D’ailleurs, les Coyoteros ne venaient pas là pour la première fois, et ils devaient savoir à quoi s’en tenir. Leur discussion ne portait que sur l’état de leurs chevaux, qui avaient déjà fait cinquante milles et étaient harassés.

C’étaient des mustangs ou chevaux sauvages des Prairies, qui sont forts et vigoureux malgré leur petite taille ; mais ils avaient suffisamment marché pour un jour et risquaient fort d’arriver épuisés au pied de la montagne.