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— Alors, continua Tresillian, plus tôt nous y serons, mieux cela vaudra. J’imagine qu’elle est encore éloignée d’une dizaine de milles.

— Vous pouvez compter deux fois dix, caballeros, et ajouter encore quelques mètres, dit Pedro.

— Comment ! vingt milles ! s’écria l’Anglais étonné. Je ne peux pas croire cela ! »

Le gambusino répliqua avec calme :

« Si Votre Seigneurie avait voyagé aussi souvent que moi dans les llanos, elle saurait aussi bien que moi à quoi s’en tenir là-dessus. Les distances ne sont jamais ce qu’elles paraissent être dans ces plaines à perte de vue.

— Oh ! du moment que vous me l’affirmez, je vous crois, dit l’Anglais. J’ai grande confiance en vos talents, quels qu’ils soient, Pedro Vicente, à en juger par l’habileté que vous avez déjà montrée comme chercheur d’or. »

L’amour-propre, encore un peu endolori du gambusino, fut guéri par ce compliment.

« Mil gracias, don Roberto, répondit-il avec un profond salut. Vous pouvez me croire sur parole, señor, car je ne parle pas au hasard, et je puis évaluer la distance à quelques yards près ; ce n’est pas la première fois, vous vous en doutez bien, que je passe ici ; avant de songer à y amener Vos Seigneuries, j’ai dû, plus d’une fois, y venir moi-même et l’explorer minutieusement, et je me souviens parfaitement du grand palmilla que vous voyez à votre gauche. »

Tout en parlant, Pedro désignait à Robert Tresillian un arbre ayant une énorme tige, d’où s’échappait un faisceau de longues feuilles acérées comme des baïonnettes. C’était une plante de la famille des yuccas, mais beaucoup plus grosse que celles que l’on rencontre généralement dans les llanos.

« Si Votre Seigneurie doute encore de la véracité de mes paroles, ajouta le gambusino, qui tenait à honneur de convaincre l’Anglais, qu’elle veuille bien se donner la peine d’examiner de près cet arbre. Elle trouvera gravées sur l’écorce deux lettres : un P et un V, les initiales de votre humble serviteur, Pedro Vicente. C’est un petit souvenir de ma personne que j’y ai laissé, en passant, il y a trois mois.

— Je vous crois sans preuves, répondit Tresillian en souriant de la bizarrerie d’un pareil « souvenir » au milieu du désert.

— Alors, señor, permettez-moi d’ajouter que ce sera tout ce que nous pourrons faire d’arriver au pied de la Montagne-Perdue un peu avant le coucher du soleil.

— Oui, Pedro, ajouta don Estevan d’un ton amical. Il s’agit de ne pas perdre de temps. Veuillez faire quelques pas en arrière et donner l’ordre de continuer la marche. Vous recommanderez aux muletiers de presser leurs bêtes autant que possible.

— Je suis aux ordres de Votre Seigneurie, » répondit le gambusino.

Et il salua les deux associés en agitant bien haut, au-dessus de sa tête, son chapeau à larges bords.

Il stimula son cheval avec la molette ronde de ses éperons, qui avaient plus de cinq centimètres de diamètre, et se dirigea au galop vers l’arrière-train de la caravane. Un peu avant d’arriver aux chariots, il se découvrit respectueusement en passant devant un petit groupe, que nous n’avons pas encore présenté à nos lecteurs, et qui se composait cependant des personnes les plus intéressantes, ou, si l’on veut, les plus remarquables de la bande.

Deux de ces personnes appartenaient au beau sexe. L’une était une dame de trente-cinq à quarante ans, qui avait dû être d’une grande beauté et qui en gardait encore des traces ; l’autre, une ravissante jeune fille, presque une enfant, qui lui ressemblait trop pour ne pas être sa fille. Ses magnifiques yeux noirs brillaient comme des étoiles sous sa couronne de cheveux d’un noir bleuâtre, et sa petite bouche semblait une grenade entr’ouverte. Jamais mantille d’Espagnole n’avait coiffé une tête plus charmante. La jeune fille s’appelait Gertrudès, et sa mère était la señora Villanneva. Leur tête et leur buste émergeaient seuls d’une sorte de palanquin ou de litière, la litera de Mexico, dont se servent les grandes dames du pays pour voyager sur des routes trop étroites ou trop difficiles pour les voitures.

On avait choisi une litera, dans le cas actuel, parce que c’était le moyen de locomotion le plus doux et le moins fatigant. Elle était portée par deux belles mules, placées l’une devant, l’autre derrière, entre deux brancards et conduites par un jeune Mexicain.

Le quatrième personnage était le fils de Robert Tresillian. Il se nommait Henry et venait d’avoir dix-neuf ans. C’était un grand beau garçon aux cheveux blonds et aux traits