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neva, était un homme d’une cinquantaine d’années, un Mexicain dont les traits nobles et fiers rappelaient ceux de ses ancêtres andalous ; l’autre, grand, maigre et blond, était un Anglais de Cornouailles, Robert Tresillian, qui avait abandonné son pays à la mort de sa femme, pour venir se fixer au Mexique.

Au moment dont nous parlons, tous les voyageurs, du premier jusqu’au dernier, étaient sombres, préoccupés et visiblement inquiets. Un seul regard jeté sur leurs chevaux et leurs mulets en indiquait la cause. Chacun de ces animaux était dans un état pitoyable : on pouvait compter leurs côtes sur leurs flancs amaigris ; leurs cous flasques et distendus retombaient languissamment sur leurs poitrails. Ils avaient à peine la force de marcher et leurs yeux enfoncés dans l’orbite, leurs langues pendantes sortant de lèvres sèches et brûlantes, exprimaient une souffrance intense. Les pauvres bêtes n’avaient pas eu d’eau depuis trois jours, et les maigres herbages des llanos qu’ils avaient rencontrés jusque-là ne leur avaient procuré qu’une nourriture insuffisante.

C’était une saison de sécheresse dans la Sonora ; il n’était pas tombé une seule goutte d’eau dans ces garages depuis plusieurs mois, et tous les ruisseaux, toutes les mares et jusqu’aux sources d’ordinaire si abondantes que les voyageurs avaient trouvés sur leurs passage, étaient complètement taris. Il n’y avait donc rien d’étonnant à ce que les animaux fussent épuisés et leurs maîtres pleins des plus noirs pressentiments. Quarante-huit heures encore de cette vie-là équivaudraient à la mort, pour la plupart, sinon pour tous.

En entendant l’exclamation du gambusino, ses compagnons poussèrent un soupir de soulagement d’autant plus grand que leur anxiété avait été plus vive. Ils savaient bien que cela signifiait de l’herbe pour les chevaux et de l’eau pour tout le monde. Il y avait longtemps que Pedro leur dépeignait la Montagne-Perdue comme le but à atteindre, et la base de cette montagne comme le lieu de campement le plus délicieux qu’on pût rêver, une oasis dans le désert, un petit paradis terrestre ; de plus, c’était sur l’un des points de la Montagne-Perdue que le gambusino leur ferait voir les riches gisements d’or connus jusque-là de lui seul.

Une fois arrivés au pied de la Montagne-Perdue, il n’y avait plus à craindre le manque d’eau, quelle que fût la sécheresse, plus de famine à redouter pour les chevaux et les bestiaux, car on y trouverait une source d’eau vive et un lac entouré de pâturages où l’herbe épaisse et succulente formait en toute saison comme un tapis d’émeraudes.

« Êtes-vous bien sûr que ce soit là la Montagne-Perdue ? demanda don Estevan, les yeux fixés sur l’éminence solitaire que Pedro lui désignait à l’horizon.

— Si, senor, répondit Pedro un peu piqué, aussi sûr que mon père est Pedro Vicente ; et comment voulez-vous que je doute de ce dernier point, quand ma mère m’a raconté plus de cent fois l’histoire de mon baptême ? La pauvre femme n’a jamais pu se consoler de tout ce que je lui ai coûté à cette occasion. Pensez donc, senores, vingt pesos d’argent et deux cierges !… des cierges énormes et de la cire la plus blanche !… Tout cela pour m’assurer le nom et les talents de mon père, qui n’était comme moi qu’un pauvre gambusino !…

— Voyons, Pedro, ne vous fâchez pas, répartit en riant don Estevan. Il y a longtemps que tout cela devrait être enseveli dans l’oubli, car, en admettant que vous ayez jamais été pauvre, vous êtes maintenant assez riche pour ne plus déplorer une dépense aussi minime et aussi lointaine que celle des frais de votre baptême. »

Don Estevan ne disait que la pure vérité. Depuis son heureuse découverte, Pedro était riche.

Quiconque l’eût vu passer trois mois auparavant ne l’eût pas reconnu, tant il était changé extérieurement à son avantage. Autrefois il était pâle, hâve et déguenillé ; ses habits tachés et fanés ne tenaient plus sur son corps, et il avait pour monture une bête efflanquée et poussive, digne émule de Rossinante. À présent, il était monté sur un cheval de race, richement caparaçonné, et sa personne resplendissait de tous les ornements brillants particuliers à ce pittoresque vêtement mexicain que portent les rancheros.

« Trêve de plaisanteries, interrompit Robert Tresillian impatienté. Le mont que nous voyons en face de nous est-il, oui ou non, la Montagne-Perdue !

— J’ai dit, répondit laconiquement le guide, plus blessé encore du doute persistant qu’un étranger se permettait d’émettre après une affirmation faite par lui, Pedro, qui connaissait à fond le désert de la Sonora.