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de grands véhicules allongés, lourds, incommodes, chargés, encombrés de mille objets divers, et traînés chacun à grand’peine par huit mules. C’étaient de véritables maisons roulantes, habitées par des familles entières d’émigrants. Des mules servant de bêtes de somme formaient ensuite un atajo, c’est-à-dire un convoi qui s’étendait à l’arrière-garde en une longue file. Enfin un immense troupeau de bestiaux, conduit par quelques bouviers, fermait la marche.

Tous ces hommes étaient à cheval, y compris même les bouviers et les muletiers. Un voyage comme le leur pouvait difficilement se faire dans d’autres conditions. Ils venaient de la ville mexicaine d’Arispe, et traversaient les vastes plaines désertes qui bordent la frontière septentrionale de l’État de Sonora et qu’on appelle des llanos.

La caravane se composait presque entièrement de mineurs. On le devinait sans peine au costume de la plupart de ces individus et surtout à tout un attirail de cordages, d’outils et de machines dont on apercevait les formes bizarres sous les grosses bâches de toile des chariots.

En somme, c’était une nombreuse équipe d’ouvriers mineurs qui, sous la conduite de ses chefs, se rendait d’une veta épuisée à une autre tout récemment découverte et que tous devaient exploiter en commun. Leurs femmes et leurs enfants les accompagnaient, car ils allaient s’installer pour des mois, et peut-être des années, dans une portion reculée du désert de Sonora.

À l’exception de deux cavaliers dont les cheveux blonds prouvaient l’origine saxonne, ils étaient tous Mexicains, mais non pas d’une même race cependant, car on voyait sur leurs visages toutes les teintes possibles, depuis le ton papier de Chine de l’Espagnol jusqu’au rouge cuivré des aborigènes. Quelques-uns même étaient des Indiens pur sang, de la tribu des Opatas, l’une de celles qu’on appelle manses, autrement dit vaincues et civilisées, et qui ressemblent aussi peu à leurs frères sauvages qu’un chat domestique à un tigre.

Certaines différences de costumes dénotaient à première vue des différences de rang et de condition chez les voyageurs. Les mineurs ouvriers et contremaîtres étaient en majorité ; il y avait encore les conducteurs des chariots, les arrieros et les mozos chargés des bêtes de somme, les vaqueros ou bouviers et plusieurs domestiques des deux sexes.

Le cavalier dont nous avons rapporté les paroles en commençant notre récit ne ressemblait à ses compagnons ni comme habillement, ni comme position sociale. C’était un chercheur d’or ou gambusino, suivant l’expression mexicaine, un de ces êtres comme il en est un certain nombre là-bas, qui de père en fils possèdent une sorte de don spécial pour reconnaître dans les entrailles de la terre ce métal jaune que les hommes estiment tant, et qui leur est si souvent pernicieux. Il se nommait Pedro Vicente.il avait un type étrange, une physionomie toute particulière, et ses yeux noirs semblaient vouloir sonder les cœurs, de même qu’ils savaient scruter le fond des mines.

C’était Pedro Yicente qui avait découvert, quelques semaines auparavant, la veta où se rendait la caravane. Il s’était hâté de « dénoncer » sa découverte, c’est-à-dire de la déclarer aux autorités d’Arispe, et de la faire enregistrer, ce qui, d’après les lois du pays, devait lui assurer la propriété exclusive de la mine d’or. Sachant cela, nous pourrions prendre le gambusino pour le chef de cette bande de mineurs, mais nous nous tromperions du tout au tout. Sa fortune ne lui permettait pas d’entreprendre une exploitation qui exigeait une grande avance de capitaux, et il avait dû transférer ses droits à une riche maison de commerce, — la maison Villanneva et Tresillian, — moyennant une certaine somme payée comptant et un intérêt considérable dans les bénéfices futurs.

L’affaire paraissait bonne, Villanneva el Tresillian avaient quitté leur ancienne mine qui ne leur rapportait plus grand’chose, et s’étaient mis en route, non seulement avec tous leurs employés accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants, mais encore avec le matériel complet d’une installation d’usine. — tous les outils nécessaires pour fouiller et creuser la terre, pour en extraire le minerai et en retirer des lingots d’or pur, — y compris les objets les plus indispensables à la vie usuelle. C’était bien leur caravane qui avait fait halte dans le llano, quand leur guide Pedro s’était écrié :

« Voyez : c’est la Montagne-Perdue. »

Les personnes auxquelles le gambusino s’adressait spécialement, n’étaient autres que les deux associés. L’un, don Estevan Villan-