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Mac Diarmid. Vous ne pouvez avoir oublié quel fut le sort du roi Philippe et de Pontiac[1]. Ils échouèrent misérablement comme échoueront toujours des sauvages en révolte contre la civilisation. Quant à vous, ou il vous sera impossible de former la ligue que vous rêvez, ou, si vous y parvenez, elle tombera au premier effort.

— Pourquoi tomberait-elle au premier effort ? Qui vous dit que, devant la fédération des tribus, les blancs ne réfléchiront pas, et que quand ils les verront arriver disciplinés, ils ne trouveront pas plus de profit à leur faire la part du sol nécessaire à leur vie qu’à continuer une guerre d’extermination qui répugne à ceux-mêmes qui la font. Qu’importe, d’ailleurs, le résultat ? Le but est beau. J’essayerai, quoi qu’il arrive, d’y atteindre. »

Il y eut un silence pendant lequel les deux hommes s’absorbèrent dans leurs réflexions.

« L’heure approche, reprit bientôt Mac Diarmid en regardant la hauteur du soleil. Il faut revenir au camp et voir un peu ce que le Grand-Serpent fait de ses danseurs…

— Quel malheur ! s’écria Evan Roy en poursuivant sa pensée, qu’il n’y ait eu de sagesse dans votre maison que du côté de votre père ! Au lieu de caresser ces idées de révolte ou de réconciliation également insensées, il serait si simple de doubler votre fortune dans le commerce des fourrures et de devenir si riche et si puissant que tout le monde s’inclinât devant vous !…

— Il est d’autres moyens que l’or pour arriver au respect de tous ! répliqua l’ex-cadet avec un mouvement de sa tête altière. Je ne serai pas éternellement battu, Evan, croyez-le bien. Mais allons ! »

Ils descendirent le coteau et se dirigèrent vers la rivière. Sur leur chemin à travers les prairies, les troupeaux de buffles ne levaient même pas la tête à leur approche et continuaient de paître sans se déranger.

Une fois au bord, ils trouvèrent une de ces étranges embarcations indiennes composées de roseaux et de peaux de buffle. Mac Diarmid sauta sur cette espèce de radeau, y trouva et jeta sur ses épaules une grande peau de loup blanc, toute couverte à l’intérieur de hiéroglyphes bizarres ; puis, aussitôt qu’Evan Roy eut pris place à ses côtés et détaché l’embarcation, il commença de la pousser avec une longue perche vers la rive opposée.

Il était curieux d’observer combien le langage de Mac Diarmid, si fleuri et si plein de métaphores dans la vie civilisée, redevenait simple et positif dans ce milieu sauvage.

En vérité, les éléments disparates de sa nature étaient si étroitement associés qu’on ne savait jamais lequel allait prédominer à un moment donné.

Son père avait été dans sa jeunesse un Highlander, fils d’un chef écossais dont la puissance s’était évanouie. Il avait alors renoncé à ses montagnes natales pour émigrer au Canada. Il n’en avait pas moins emporté jusqu’à la baie d’Hudson les traditions de son enfance, et il en avait fait la poésie de sa rude vie de facteur de pelleteries. Isolé tout le long de l’année dans un des comptoirs lointains d’une grande Compagnie, ne voyant autour de lui que des indiens, il s’était choisi parmi eux une compagne. Plus tard, il rêva pour ses enfants une existence moins pénible que la sienne, et, réalisant une ambition longtemps caressée dans sa solitude, il vint s’établir à New-York avec ses économies.

Un hasard heureux, aidé sans doute d’un instinct commercial des plus sûrs, les lui fit placer sur des terrains alors peu recherchés du côté de Canal Street. Les relations qu’il avait formées avec les Indiens lui permettaient, d’autre part, de poursuivre pour son propre compte un négoce de pelleteries fort étendu.

Il arriva que la population de la capitale américaine, en se développant avec la, rapidité que l’on sait, se porta vers les terrains d’abord dédaignés. Canal Street, englobé peu à peu dans de nouvelles constructions, prit tout à coup une valeur de banlieue, puis se trouva compris dans la ville même, et finit par devenir un quartier central.

Le modeste facteur en pelleteries se transforma ainsi en capitaliste opulent. Dans ces circonstances, il n’eut pas de peine à trouver un membre du Congrès accommodant, pour

  1. Le roi Philippe, chef indien de l’Amérique du Nord, de son vrai nom Matacom, était le sachem de la tribu des Wampanoogs dans le Rhode-Island. De 1662 à 1676, il lutta contre les Anglais avec une bravoure et un génie militaire qui le placent au rang des premiers capitaines de l’histoire. Sa tête avait été mise à prix par les Anglais. Elle leur fut apportée par un de ses soldats. Pontiac, illustre chef de la tribu des Attawas, luita avec une extrême énergie contre les Anglais, dans le Canada d’abord, comme allié des Français commandés par le marquis de Montcalm, et puis avec ses seules forces. 11 fut assassiné en 1765 par un espion des Anglais.