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très loin. Situé directement au-dessous de l’écoutille, il était circonscrit de toutes parts par les piles de marchandises et contenait un certain nombre de barils et de sacs épais, qui paraissaient remplis de provisions destinées sans doute à l’équipage et placées là pour qu’on pût, au besoin, les atteindre facilement.

C’était sur un des côtés de ce petit amphithéâtre que j’avais émergé de ma galerie. Je n’avais qu’un pas ou deux à faire pour frapper au panneau de l’écoutille et appeler les matelots à mon secours. Mais bien qu’il me suffit de frapper un seul coup, de pousser un seul cri pour obtenir ma délivrance, je fus longtemps avant de m’y résoudre.

Juste à ce moment des bruits de pas se firent entendre au-dessus de ma tête ; c’étaient les matelots qui passaient près de l’écoutille en allant et venant sur le pont. Je m’élançai vers le panneau que je frappai fortement du manche de mon couteau.

J’écoutai ; mon appel avait été entendu. Les matelots conféraient ensemble, et je pus distinguer des exclamations de surprise. Mais, quoique la conversation parût se généraliser, personne n’essayait d’enlever le panneau.

Je frappai plus fort qu’auparavant et j’appelai ; mais ma voix me sembla si faible que je doutai qu’on m’eût entendu. C’était une erreur, car une volée d’exclamations bruyantes me répondit aussitôt, et je jugeai à leur nombre que tout l’équipage était réuni autour de l’écoutille.

Je frappai une troisième fois ; puis je me retirai à une certaine distance, attendant avec émotion ce qui allait se passer. Aussitôt j’entendis un grand remue-ménage sur le pont, et je compris qu’on enlevait le prélart, car de nouveaux rayons lumineux pénétraient dans la cale par toutes les fentes du panneau, bientôt, celui-ci étant soulevé à son tour, je fus inondé tout à coup d’une lumière si vive que je chancelai et tombai frappé de vertige sur une des caisses voisines.

Quand je revins à moi, j’étais entouré de tous les matelots du bord, dont les regards inquiets étaient attentivement fixés sur moi. J’interrogeai avec anxiété ces rudes figures : mais je n’y lus que compassion et sympathie.

L’un des matelots, agenouillé à mes côtés, me cinglait de l’eau fraîche au visage et me bassinait les tempes. Je le reconnus à l’instant même ; c’était ce bon Waters qui, après m’avoir descendu à terre sur l’ordre du capitaine, comme vous vous le rappelez sans doute, m’avait fait, avant de me quitter, présent de son couteau. Il ne se doutait guère alors du service qu’il me rendait. Il est vrai de dire que je ne m’en doutais pas davantage.

« Waters, lui dis-je d’une voix presque éteinte, me reconnaissez-vous ?

— Nom d’un bâbord ! s’écria-t-il en se redressant tout à coup, je veux que le tonnerre m’écrase si ce n’est pas le petit bonhomme qui est venu à bord l’avant-veille de l’appareillage.

— Oui, c’est bien moi, » répondis-je.

Puis, après quelques moments pendant lesquels ils me contemplaient en silence ;

« Où est le capitaine ? demandai-je à Waters, je voudrais lui parler.

— Le voilà, » me répondit-il, en m’indiquant du doigt un gentleman, que je reconnus immédiatement à son costume et qui était assis à quelque distance devant la porte de sa cabine. Sa figure, quoique sérieuse, n’avait rien de sévère, et, après un instant d’hésitation, rassemblant tout mon courage, je me dirigeai vers lui d’un pas chancelant et je me jetai à ses pieds,

« Ah ! monsieur, m’écriai-je d’une voix tremblante, comment pourrez-vous jamais me pardonner ce que j’ai fait ! »

Il me fut impossible d’articuler d’autres paroles. Les yeux baissés et en proie à la plus cruelle anxiété, j’attendis la réponse du capitaine ; il ne me tint pas longtemps en suspens.

« Allons, mon garçon, me dit-il avec douceur, relève-toi et viens dans ma cabine. »

En même temps, une main bienveillante prenait la mienne et soutenait mes pas incertains ; c’était celle du capitaine lui-même.

À peine fus-je entré dans la cabine, que, mes regards s’arrêtant sur une glace, je reculai d’effroi à mon propre aspect. J’étais littéralement couvert de farine de la tête aux pieds, tandis que mes yeux caves et cernés, mes joues pâles et amaigries témoignaient suffisamment des ravages que la privation d’air et de lumière, la famine et les souffrances avaient produits dans ma constitution.

Après m’avoir fait asseoir, le capitaine appela son domestique et lui ordonna de m’apporter un verre de Porto ; puis, m’ayant laissé boire en silence, il se tourna vers moi dès que j’eus fini et, d’un ton qui n’avait rien de menaçant, il m’ordonna de lui raconter mon histoire. Je le fis dans les plus grands détails,